Par François Maurisse
Publié le 23 janvier 2019
Après Sur l’interprétation – titre de l’instant qui faisait voler en éclat le dispositif spectaculaire, ouvrait grand la porte du plateau aux spectateurs, déjouait leurs attentes et diluait leurs attentions, le chorégraphe Yaïr Barelli revient, avec son dernier solo Dolgberg, à une forme plus conventionnelle. Il y tisse son histoire personnelle avec une mise en scène de soi et brode une série d’exercices de style sur le canevas des mythiques Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Ces pièces courtes pour clavecin font ici office de socle sur lequel ont pu se déployer des siècles d’histoire de la musique savante occidentale, mais aussi le récit intime d’un danseur et performeur, traversé et habité par de multiples influences.
Dans la carrière d’un artiste, il y a parfois de curieux hasards, des jalons qui reviennent, le guident et le hantent. En 2007, un premier solo de Yaïr Barelli s’appelle déjà Aria en trois variations, et procède à une écriture du mouvement musicale, profondément ancrée dans les harmonies et les contrepoints de Bach, dansée sur la clef de voûte des Variations Goldberg et en silence. Dernièrement, à l’occasion d’une reprise de rôle dans le mythique Jérôme Bel, performance éponyme du Robespierre de la danse contemporaine, il doit apprendre par coeur l’intégralité de ces Variations pour les chanter a cappella pendant toute la durée de la pièce. Aussi, le chorégraphe nous apprend que ces grands parents polonais, pour échapper à l’holocauste, décident d’effacer leur nom, Goldberg, lorsqu’ils rejoignent Israël. Lui, comme beaucoup d’enfants de la troisième génération d’israéliens, décide de faire la route en sens inverse et de revenir faire sa vie en Europe.
Le point de départ semble se cristalliser dans ce noeud. Comment s’emparer de la référence ? Comment s’en servir comme d’un levier ? Comment en faire quelque chose de véritablement à soi ? En nous laissant penser que la première partie de son histoire n’était qu’un échauffement, avec Dolgberg, Yaïr Barelli entre, dans un plaisir manifeste, sous les aveuglants feux de la rampe. Devant l’assemblée des spectateurs, largué sur la blancheur immaculée du tapis de danse, le performeur reste a priori désemparé. Alors que les Variations défilent en fond sonore, dans un arrangement presque spectral, une galerie de personnages défile au plateau, au gré de l’effeuillage du danseur qui tente coûte que coûte d’incarner ces pièces à la virtuosité modèle et incontestée. Il en chantonne certaines à pleins poumons pour convoquer l’héritage de Jérôme Bel, certaines sont dansées, l’air hébété, bouche entrouverte et regards dans le vide pour rappeler plutôt la gestuelle de la capverdienne Marlene Monteiro Freitas, avec qui il a collaboré pour Paraíso – colecção privada en 2012.
Mais c’est sans doute quand l’interprétation se fait plus personnelle, quand les séquences sont plus anecdotiques certes, mais plus fantaisistes, que l’exercice se transcende. Quand le chorégraphe performe une variation en contractant par intermittence les muscles de ses fesses, ses biceps et ses pectoraux, c’est une manière de témoigner de l’inscription profonde de la partition musicale dans le corps. Quand il singe une scène western en adoptant la gestuelle signature du faune de Nijinski, il trouble son propre rapport aux idoles, aux canons et à la virtuosité. Cette dernière qu’il finit par fracasser lourdement sur le plancher du vernaculaire lorsqu’il s’épuise dans une imitation troublante d’un Freddie Mercury en bête de scène, hurlant avec son vibrato caractéristique les notes d’une des variations en direction du public, affublé de son collant blanc et de sa moustache surannée.
La performance s’éparpille, déplie une multitude de pistes sans jamais tout à fait laisser le temps à chacune d’exister, essoufflée à la poursuite des notes enlevées de Bach, comme si les références filaient entre les doigts du chorégraphe à mesure qu’il tentait de les égrener. Les canons, contrepoints, échappées et harmonies tendues tout au long des Variations Goldberg se résolvent finalement dans un ultime morceau à la perfection formelle indiscutable, l’Aria. C’est ce morceau que Yaïr Barelli interprète posément, en guise de conclusion sur le piano qui jusqu’alors était resté muet au plateau. Et si le bagage parlait suffisamment de lui-même ? Et si la tentative d’incarnation ne trouvait de soulagement que dans une franche accolade avec la référence ?
Vu à micadanses, dans le cadre du festival faitsdhiver. Conception et interprétation Yaïr Barelli. Son Nicolas Barrot. Lumière Yannick Fouassier. Photo © Lili Zhan, PSA Shanghai.
Tournée : le 9 avril au Théâtre de Vanves, Festival Artdanthé
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