Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 19 décembre 2018
Dans une approche au mysticisme assumé, le jeune chorégraphe grec Christos Papadopoulos tente de percer à jour les secrets et les mécanismes du temps, aussi bien dans notre environnement naturel que dans notre société. Dans Elvedon en 2016, il prenait appui sur Les Vagues de Virginia Woolf pour déplier l’instant et creuser le temps. Dans sa dernière création Ion, il développe sa recherche autour de la répétition du mouvement collectif, comme pour étudier plus profondément ce qui rassemble les individus. Dans le vertige d’un temps suspendu, l’unisson et la choralité sont les meilleurs outils pour résister.
Votre précédente pièce Elvedon s’inspirait du roman Les Vagues de Virginia Woolf et explorait déjà l’idée d’un motif chorégraphique qui se développe progressivement au cours de la pièce. Retrouve-t-on des analogies formelles et/ou conceptuelles entre Elvedon et votre nouvelle création Ion ?
Pour Elvedon, je souhaitais me concentrer sur l’élément temps, comme un pouvoir vital pour faire évoluer nos vies. La grande idée, c’est d’en arriver à la conclusion que les choses qui nous unissent sont plus fortes que celles qui nous séparent. Nous sommes tous connectés. Pour Ion, j’explore avant tout l’individualité, l’opportunité de dire oui ou non à une proposition venue de quelqu’un d’autre. C’est un des moyens pour coordonner et construire des structures sociales, communautaires efficaces. Je vois des similitudes entre ces deux approches : le mouvement lui-même est un moyen de révéler nos décisions et de soutenir notre intention dans l’espace. Ces deux pièces sont basées sur un micro-mouvement en perpétuelle évolution, comme un outil pour guider les spectateurs dans l’exploration de la notion de communauté.
Cette notion de communauté semble être un élément important dans ces deux pièces.
En tant qu’individu profondément affecté par notre réalité, la notion de l’«être ensemble» est présente dans mon travail aussi bien dans le processus de création que dans le résultat. Je crée un monde où l’un a besoin de l’autre pour exister. La coopération et la coordination y sont cruciales. Nous sommes faibles en tant que simples individus, mais ensemble, nous pouvons créer un système qui peut nous offrir un léger espoir d’accomplissement. Je sais bien que c’est une idée romantique, mais si nous observons la nature et les animaux, nous voyons bien que ce système existe et qu’il fonctionne vraiment. La collaboration est pour moi l’essence même de notre travail ; c’est l’espace délicat d’une compréhension profonde et commune au sein de notre groupe. Cette collaboration ne consiste pas simplement à travailler ensemble, mais à créer un micro monde dans la confiance, où nous pouvons et devons être courageux. Dans cet espace, nous sommes tous libres de partager nos idées et notre créativité, tout en étant libres d’improviser autour d’idées spécifiques. Dans cet espace, les individualités ne sont plus au premier plan, ni les egos, ni les relations personnelles. Ce qui importe vraiment, c’est l’édification de ce nouveau monde unique.
De quelle manière ce paradoxe entre communauté et individualité prend-il forme dans Ion ?
Pendant tout mon processus de travail, je ne cherche qu’à trouver et déplacer les frontières, du mouvement, du théâtre, des psychologie. Le cadre dans lequel ce travail s’inscrit est toujours ainsi très serré, si bien que parfois le reste du groupe le trouve trop tyrannique, sans aucune place à l’interprétation. Mais au fur et à mesure, quand les interprètes commencent à en saisir les mécanismes et en maîtriser les ressorts, nous prenons tous conscience qu’il laisse aussi beaucoup de liberté individuelle. C’est à ce moment qu’ils me viennent en aide. Ion est une pièce que nous rodons depuis longtemps et nous sommes davantage matures, en prises avec le monde. La pièce est comme un organisme vivant, elle a constamment besoin d’être retravaillée, développée, pour rester ancrée dans l’actualité.
Le paysage sonore et la la lumière participent grandement à l’expérience perceptive de la pièce…
La musique et la lumière sont soumises aux mêmes règles, aux mêmes limites que celles que nous nous imposons pour la chorégraphie Le compositeur Coti K était présent et intégré au groupe de recherche pendant tout le processus de création. La musique est un autre volet d’expression du même univers, des mêmes idées, parallèlement et perméable au mouvement. La création lumière a ceci de particulier qu’elle reproduit les lumières naturelles du soleil et de la lune. Je tenais à ce que la lumière existe de façon autonome et permette d’influer sur notre perception du temps. Le lent balayage de l’espace qu’elle effectue contredit parfois le tempo de la danse et donne la sensation qu’il existe une réalité supérieure plus vaste, qu’il n’est pas toujours la peine de chercher à comprendre…
Vu au Théâtre de la Ville à Paris. Concept et chorégraphie de Christos Papadopoulos. Dramaturgie Tassos Koukoutas. Musique Coti K. Lumières Tasos Palaioroutas. Costumes Angelos Mentis. Décor Evangelia Therianou. Avec Maria Bregianni, Nanti Gogoulou, Amalia Kosma, Hara Kotsali, Giorgos Kotsifakis, Dimitra Mertzani, Efthymis Moschopoulos, Ioanna Paraskevopoulou, Alexis Tsiamoglou, Alexandros Varelas. Photo © Elina Giounanli.
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