Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 11 septembre 2017
Chorégraphe et danseuse d’origine autrichienne, Florentina Holzinger collabore depuis maintenant plusieurs années avec le danseur et chorégraphe Vincent Riebeek. Ensemble ils ont signé de nombreux spectacles dont la trilogie Kein Applaus für Scheisse, Spirit et Wellness. Aujourd’hui, Florentina Holzinger créée en solo Apollon Musagète, une adaptation contemporaine féministe du ballet éponyme de George Balanchine avec une distribution entièrement composée de danseuses.
Pouvez-vous revenir à la genèse de votre nouvelle création Apollon Musagète ?
Mon dernier spectacle s’inspirait déjà de Balanchine, notamment la question de la représentation des rôles genrés dans le ballet. Je trouve le ballet vraiment pervers et artificiel, à la fois attractif et répulsif. Depuis mon plus jeune âge, je me suis sentie exclue de ce monde, et ça m’a pris du temps avant de comprendre réellement que je ne pourrais jamais en faire partie. Apollon Musagète est d’une certaine manière une tentative de transformer mon aversion pour le ballet en une relation d’amour. L’Histoire raconte qu’Apollon choisit sa muse préférée dans le ballet. Apollon Musagète est une sorte de version anarchique de cette histoire et tente de repenser la place des corps féminins à l’intérieur du ballet. Premièrement, en échangeant les figures d’Apollon et de la muse, et également en détruisant l’idée du « mâle Apollon » qui doit choisir ses muses.
Comment Apollon Musagète s’inscrit dans votre recherche artistique ?
Mes précédents spectacles gravitent également autour du monde du ballet. Au regard de l’histoire de la danse, le ballet semble être l’élément le plus représentatif lorsqu’il s’agit de mettre en image les enjeux de la tradition et les tensions entre « élite » et « divertissement ». Il est intéressant de voir comment ses différents enjeux peuvent être actualisés par une nouvelle génération de danseur. Comment le ballet peut-il aujourd’hui rentrer en dialogue avec le monde contemporain ? Doit-il ignorer la réalité d’aujourd’hui avec véhémence ? Mon dernier spectacle, Schönheitsabend (co-créé avec le danseur et chorégraphe Vincent Riebeek, ndlr) était une sorte de reconstruction du dernier solo de Nijinsky, créé peu de temps avant qu’il soit interné en hôpital psychiatrique. Avec ce spectacle, j’essayais de soulever tous les problèmes et les doutes d’un danseur qui s’apprête à monter sur scène, autrement dit lorsqu’un artiste commence à vendre son corps aux masses. Ce projet fut une étape importante pour moi : tout d’un coup, les gens s’attendent à ce que vous produisiez, vous obtenez plus d’argent et plus d’attentes, plus de pression et plus de doutes… Apollon Musagète est né d’un précédent projet que j’ai signé pour une ancienne danseuse de ballet qui, en raison d’une blessure, est finalement devenue dentiste. Cette dualité m’a beaucoup intéressé : la ballerine vs. le médecin, la danseuse qui « extériorise » une forme à travers son corps vs. un médecin qui regarde à l’intérieur des gens.
George Balanchine a chorégraphié Apollon Musagète en 1928. Que reste-t-il de cette œuvre dans votre performance ?
Dés le départ il était question de reprendre le ballet avec un casting 100% féminin. L’idée était de voir comment les corps pouvaient changer la signification de la chorégraphie si aucun danseur masculin n’interprétait le rôle d’Apollon. Au final chaque danseuse interprète le rôle d’Apollon à un moment donné pendant le spectacle, et peut importe qui joue ce rôle car nous pouvons chacune être Apollon.
Comment se sont déroulées les répétitions d’Apollon Musagète ?
Je n’écris pas vraiment mes spectacles. J’ai travaillé sur différentes thématiques en partie abordées dans mes précédents spectacles tels que le retard de croissance ou l’haltérophilie. J’ai également beaucoup travaillé les arts martiaux, sport que je pratique depuis de nombreuses années. Il était important à mes yeux de transmettre aux danseuses une formation de guerrière. Le spectacle est une attaque et, en même temps, une défense des traditions. La culture du corps ou la forme physique sont également très présents dans l’imagerie d’Apollon Musagète. C’était donc inévitable pour moi de devoir être transparente sur la représentation de corps sur la scène, sur le fait qu’ils sont manipulés et de quelle manière ils le sont.
Vous revendiquez une affiliation aux Freak Shows de Coney Island, quels liens Apollon Musagète possède-t-il avec cette contre-culture ?
J’ai remarqué que ces freak shows américains sont assez semblables à la vague d’expériences du body art des années 70. J’ai trouvé ce lien intéressant puisque la seule différence réelle entre ces deux communautés, c’est que l’une prétend qu’elle fait de l’art tandis que l’autre est fière de considérer leurs créations comme pur spectacle. Je me suis toujours sentie déchirée entre ces deux mondes, en supposant que l’art doit être amusant afin de pouvoir être consommé par quiconque : c’est l’énorme paradoxe. Mon travail a souvent été assigné à ce genre de questions, labélisé par son coté radical, extrême et provocateur, étiquettes que je trouve problématiques. Je peux me mettre dans la peau du performer de freak show qui dirait : « Si vous trouvez cela choquant, si vous trouvez quelque chose de répugnant, n’oubliez pas que vous avez payé pour voir ça et nous le faisons uniquement pour vous divertir ».
Vous revendiquez-vous comme une artiste féministe ?
Oui, je suppose que je suis féministe. Je suis en effet plutôt intéressée par des sujets liés à des problématiques féminines. Je suis obsédée par les scénarios inversés et il y a encore beaucoup d’espace disponibles dans la représentation des corps féminins en public, beaucoup d’espace pour guérir le traumatisme. Et c’est ce que nous essayons de faire avec Apollon.
Conception Florentina Holzinger. Interprétation Renée Copraij, Evelyn Frantti, Florentina Holzinger, Annina Lara Maria Machaz, Maria Netti Nüganen, Xana Novais. Musique Stephan Schneider. Dramaturgie Sara Ostertag. Photo © Radovan Dranga.
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