Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 15 novembre 2016
Danseuse, chorégraphe et performeuse polonaise installée en France, Ola Maciejewska explore depuis 2011 la « Danse serpentine » de Loïe Fuller. Entre solo et pièces de groupe, film et performance, elle interroge la relation entre corps, matière et son. À travers Loïe FULLER: RESEARCH et BOMBYX MORI, elle invente une écriture sensible et sculpturale du mouvement, où le geste dialogue avec l’espace, la lumière et l’acoustique.
Ton travail explore depuis plusieurs années les « Danses serpentines » de Loïe Fuller. Peux-tu retracer la genèse et l’histoire de cette recherche ?
En 2011, j’ai soutenu un mémoire intitulé Extending the notion of movement in dance to non-humans, things and objects. En esquissant une sorte d’arbre généalogique des artistes chorégraphiques qui interrogent la figure humaine dans la production du mouvement, Loïe Fuller est apparue comme une figure incontournable. Gilles Deleuze écrit : « Le plus important, c’est d’arriver entre, de se faire accepter dans le mouvement d’une grande vague ou d’une colonne d’air, plutôt que d’être à l’origine de l’effort » Cette idée de mouvement non centré sur le corps humain m’a beaucoup marquée. Chez Loïe Fuller, ce ne sont pas tant les effets spectaculaires de ses costumes qui m’ont intéressée, mais sa manière de penser la danse : un événement où lumière, son, matières et corps co-produisent le mouvement. Elle bouscule la vision traditionnelle qui fait du corps l’unique origine du mouvement, ce qui est rare dans l’histoire de la danse.
Tu as créé le solo Loïe FULLER: RESEARCH puis le trio BOMBYX MORI. Comment ces deux projets se répondent-ils et prolongent-ils ton exploration chorégraphique ?
Avec Loïe FULLER: RESEARCH, je me concentre sur la manière de générer du mouvement en repensant la relation entre l’humain et l’objet. La performance est pensée comme une séance d’entraînement physique, où je sculpte littéralement une matière instable : la robe dansante. L’enjeu n’est pas tant l’interaction visible entre le corps et l’objet que les formes plastiques éphémères qui émergent de cette rencontre. Loïe FULLER: RESEARCH est une performance adaptable : je la présente aussi bien dans des galeries d’art, en extérieur, etc. BOMBYX MORI prolonge cette recherche en intégrant de nouveaux paramètres : le son et la multiplication des figures dansantes. Dès le début de mes recherches, le bruit du tissu était très présent. Dans BOMBYX MORI, les sons produits par les mouvements des robes sont captés par des micros sensibles et amplifiés en direct. Nous devenons à la fois sculpteurs et musiciens. Cette pièce est conçu spécifiquement pour des espaces sensibles au son, comme des théâtres, car l’acoustique est essentielle. Mais au fond, les deux pièces partagent une même recherche : comment le mouvement se donne à voir et à entendre dans un espace partagé avec le public.
Question technique : comment as-tu conçu les costumes ?
Comme Loïe Fuller à son époque, j’ai moi aussi testé différents tissus pour ressentir leur poids, observer leurs effets sous la lumière et écouter les sons qu’ils produisent. Petite, ma mère me confectionnait beaucoup de costumes. Quand je lui ai montré des vidéos de Loïe Fuller, elle a très vite compris comment recréer ces effets. Cela dit, mon projet n’est ni un hommage ni une reconstitution historique : je me suis autorisée une grande liberté par rapport aux matériaux et aux mécanismes originaux.
Depuis quelques années, de nombreux chorégraphes revendiquent un lien avec les grandes figures de la danse du XXᵉ siècle. Quelle est ta réflexion sur ces filiations ? Quel regard portes-tu sur l’histoire de la danse ?
L’appropriation comme stratégie créative est une notion ancienne, déjà centrale dans les discours critiques des années 70 et dans la postmodernité. Aujourd’hui, alors que nous passons d’un manque d’histoire à une surabondance d’héritages, il est important de se demander non pas seulement qui nous citons, mais comment et pourquoi. J’aime associer l’appropriation à l’invocation de fantômes, de romans gothiques, de ruines, de désirs fétichistes. Beaucoup d’artistes aujourd’hui pratiquent des sortes de « résurrections » ou créent des « zombies » d’œuvres existantes, parfois enfermées dans une logique de marché. Il est essentiel de garder une attitude critique face à ces phénomènes. Ce qui rend l’appropriation pertinente, c’est sa capacité à déstabiliser les notions d’auteur, de propriété, et à interroger profondément notre rapport au temps et à la création.
Photo © Martin Argyroglo
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