Photo © José Caldeira

Marco Da Silva Ferreira, Brother

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 16 mars 2018

Avec Brother, Marco da Silva Ferreira poursuit sa réflexion sur la danse comme lieu de convergence entre héritages culturels et pratiques contemporaines. Nourri par les danses urbaines et leur dimension sociale, il interroge la mémoire du corps, la fabrique du collectif et les résonances invisibles entre les gestes ancestraux et les rythmes urbains. Dans cet entretien, Marco da Silva Ferreira partage les grandes étapes de la création de Brother.

Vous prolongez dans Brother votre recherche sur les danses urbaines entamée avec Hu(r)mano. Qu’est-ce qui a évolué dans votre approche ?

Avec Brother, je poursuis une exploration amorcée dans Hu(r)mano, autour des cultures urbaines. Mais cette fois, je l’aborde sous un angle plus historique, en m’intéressant aux racines de ces danses. Dans Hu(r)mano, les références chorégraphiques étaient plus explicites et accessibles au grand public — on y retrouvait des styles comme la House, le Popping ou le New Style. Avec Brother, je vais plus en profondeur, vers des pratiques souvent moins connues du grand public : le Kuduro, le Pantsula, le Voguing. Ces formes dites « underground » m’ont permis de creuser un lien plus intime avec les origines africaines de nombreuses danses urbaines. Mon travail consiste à faire dialoguer ces styles, non pas de manière illustrative, mais à travers leurs énergies, leurs états d’esprit, en les réinterprétant dans une lecture contemporaine.

Peux-tu donner un aperçu du processus de recherche ?

Le processus de création de Brother s’est déployé sur plus d’un an et demi, au fil des résidences. L’écriture de la pièce s’est construite progressivement, à travers une série de « négociations » entre les références chorégraphiques qui m’inspiraient et la manière dont je choisissais de les réapproprier. Ces temps de recherche partagés avec les interprètes ont aussi été l’occasion d’approfondir une réflexion sur le collectif : comment il se forme, se structure, et comment chacun y trouve sa place à travers le mouvement.

Comment ces « négociations » se sont-elles mises en pratique en studio ?

Au début du travail sur Brother, j’étais fasciné par cette étrange sensation de familiarité que je pouvais ressentir face à une danse que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais vue. Notre perception du corps est largement façonnée par la société occidentale, et je suis moi-même un pur produit de cette globalisation, mais il subsiste toujours, dans le corps, des réminiscences, des traces profondes qui refont surface. Pendant le processus de création, je me suis laissé aller à une approche libre, instinctive, presque enfantine, à la fois enthousiaste et affranchie de toute responsabilité. Les danses urbaines sont, à l’origine, des danses sociales. Beaucoup sont nées au sein de communautés, de familles, souvent lors de cérémonies. Cette manière instinctive de s’approprier les gestes, les rythmes, les styles, m’est apparue comme une métaphore puissante des transmissions intergénérationnelles, de ces savoirs et pratiques qui se perpétuent de corps en corps, parfois de façon souterraine, mais toujours vivante.

La bande-son de Brother évoque des sonorités primitives. Comment as-tu imaginé ce paysage sonore ?

Nous avons d’abord travaillé à partir d’instruments acoustiques dits « primitifs », flûtes, bois, tambours, pour ensuite transformer ces enregistrements et créer un paysage sonore aux accents électroniques, presque technologiques. Ce processus nous a permis de bâtir des ponts hybrides entre le passé et le présent, d’instaurer une tension fertile entre traditions ancestrales et modernité. J’ai également tenu à intégrer des moments de silence dans la performance. Cela ouvre l’espace à des sons concrets : le souffle, la voix, les pas et les frottements des corps. À mes yeux, ces silences offrent une autre façon d’écouter la danse, de percevoir sa musicalité intrinsèque, parfois plus organique que rythmée.

Les silhouettes de Brother évoluent, se transforment, échappent aux catégories. Peux-tu partager l’histoire de ces costumes ?

Une fois encore, mon intention était de superposer différentes époques et cultures, de les faire dialoguer au plateau. Les costumes sont inspirés de vêtements de sport urbains et contemporains, tandis que les visages peints en jaune évoquent une dimension plus rituelle, presque cérémonielle. J’aime cette tension entre des signes qui semblent contradictoires : elle crée une figure ambivalente, instable, en perpétuelle transformation. Au cours de la pièce, les costumes évoluent. On les modifie ou on les échange pour des tenues parfois absurdes, décalées. Ces différentes silhouettes sont nées des improvisations en studio. À partir de vidéos que j’avais collectées, on s’amusait à reproduire les looks des danseurs qu’on voyait, en utilisant ce qu’on avait sous la main. Avec le temps, ces jeux sont devenus des rituels à part entière : à chaque répétition, on inventait de nouvelles tenues. C’est devenu une façon ludique, mais essentielle, de nourrir le langage visuel de la pièce.

Chorégraphie et direction artistique Marco da Silva Ferreira. Avec Anaísa Lopes, Cristina Planas Leitão, Duarte Valadares, Marco da Silva Ferreira, Vítor Fontes, Filipe Caldeira, Max Makowski. Lumières Wilma Moutinho. Musique Rui Lima et Sérgio Martins. Photo © José Caldeira.