Par Céline Gauthier
Publié le 2 juillet 2019
Dans le crépuscule tiède des nuits uzétiennes, les six interprètes de la Berezina orchestrée par le chorégraphe David Wampach embrasent la scène à ciel ouvert du jardin de l’évêché. L’épure scénographique du plateau nu, seulement encadré par les arbres et les pierres ocres de l’église attenante, contraste avec l’ostentation des costumes étincelants et la profusion gestuelle d’une danse débordante : la pièce donne à voir une succession étourdissante de solos lors desquels les danseurs exhibent le plaisir enivrant de s’abandonner au mouvement.
Avant de s’exposer sous la lumière éclatante des projecteurs, les danseurs surgissent silencieusement dans la pénombre du plateau. L’obscurité miroite le scintillement de leurs costumes argentés, de leurs peaux lustrées enduites d’un « masquillage » – selon l’expression de Wampach – de peintures et de paillettes. De longues traînes de tissu métallisé, des perruques d’un violet électrique évoquent autant l’opulence chatoyante des carnavals vénitiens que les parures des super-héros, icônes de la pop culture. Cette équivocité les distancie d’un simple déguisement, qui pourrait les enclore dans le registre de l’incarnation d’un personnage : le maquillage ainsi dissimule les traits du visage autant qu’il en accentue les expressions et mimiques.
L’absence revendiquée de toute trame dramatique, encore accentuée à Uzès par la disparition de la scénographie initiale (composée de miroirs mobiles) insiste sur la primauté du mouvement. Les solos explosent dans une parade de silhouettes comme échappées d’un défilé de haute couture ou d’une scène de night-club. Pourtant, d’un grand battement, d’une torsion de la nuque ou d’un roulement de hanche, elles se coulent dans une tonicité progressivement érigée en transe quasi extatique.
Davantage qu’une ardeur collective diffractée en unissons, Berezina expose la seule présence des danseurs, qui charrie pour le spectateur une multiplicité de références surgies de manière allusive au sein d’une gestuelle inqualifiable. Sans doute mâtinées de leurs influences personnelles – danses de cabaret, voguing ou danses kuduro d’Angola évoquées par le chorégraphe –, elles infusent des gestes lointainement cités, à peine esquissés, qu’il s’agit moins d’identifier et de reconnaitre que d’embrasser d’un même regard pour éprouver l’effet de cette profusion gestuelle qui confine au trop-plein.
La pièce expose la souveraineté des interprètes, qui domptent leur fougue par une impeccable virtuosité technique et rythmique ; les muscles pulsent sous la peau à la cadence d’une musique électro-pop tonitruante. La danse éruptive s’offre un peu de répit lorsqu’ils s’interrompent pour nous scruter d’un air de défi ou viennent mutuellement s’observer, en se glissant silencieusement en bordure de plateau. Stoïques, solidement campés, ils exaltent a contrario la fébrilité du soliste autant qu’ils exemplifient la fonction scénique du theatron ; espace d’exposition de soi et de dévoilement de la dynamique du regard. Ainsi, le justaucorps doré d’une danseuse suggère une nudité latente, sans jamais l’exhiber : composé de plastrons qui dissimulent les seins et le pubis, reliés par une bande de tissu qui court le long du ventre, il désigne l’ambivalence de corporéités à fleur de peau, enveloppées de costumes moulants comme des membranes rutilantes, libérant par vagues et ressacs l’énergie d’une extase très dionysiaque.
Vu au Festival Uzès danse. Chorégraphie David Wampach Danse Maeva Cunci, Lorenzo de Angelis, Ghyslaine Gau, Lise Vermot, Mickey Mahar, Némo Flouret (en remplacement de Régis Badel) Conseils artistiques Dalila Khatir, Tamar Shelef, Jessica Batut, Marie Orts Costume-maquillage Rachel Garcia Lumières Patrick Riou Son Yvan Lesurve. Photo © Laurent Pailler.