Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 24 décembre 2023
Comment sensibiliser les enfants aux changements environnementaux et à l’urgence climatique ? Guidé par un goût certain pour le burlesque, Jonas Chéreau explore la danse comme un terrain de fabrication poétique et propose d’associer les états du ciel à nos états émotionnels et celui du monde. À destination du jeune public, sa création Temps de Baleine s’inspire des phénomènes météorologiques et donne à voir le paysage intérieur d’un corps traversé par des humeurs climatiques. Dans cet entretien, Jonas Chéreau partage les rouages de sa démarche artistique puis revient sur l’histoire et les enjeux de sa création Temps de Baleine.
Tu as créé Baleine en 2019, un solo que tu présente comme une étude météorologique burlesque. Peux-tu retracer l’histoire et la genèse de cette pièce ?
Ce qui m’amène au geste créatif est souvent lié à une constellation de pensées, d’états et d’intuitions. Lors de la création de Partout en 2016, pièce chorégraphique pour des chemins, créée en collaboration avec Madeleine Fournier, j’ai été fasciné d’observer à quel point l’extérieur et notamment les variations atmosphériques, avait la faculté d’altérer une danse. À quel point, la température, le vent, l’orientation du soleil et les innombrables mouvements du ciel transforment la perception et la réception d’un même geste chorégraphique. Par la suite, j’ai eu la chance de voyager et de découvrir l’archipel des Açores dont le climat océanique tempéré a la particularité d’alterner d’une saison à une autre dans la même journée. La météo y est très variable, il n’est pas rare d’y voir de la pluie, du brouillard et un franc soleil dans la même journée. Sur le rivage, face à la mer, j’adorais la sensation d’observer le monde à l’infini en regardant l’horizon et tentant de voir surgir une baleine à travers les vagues. Par contraste, de retour à Bruxelles, où j’habite, et où le ciel est parfois très bas, m’est venu le désir d’inventer Baleine. Inspiré par ce ciel qui nous relie vers le haut à la nature est née l’idée de ma première pièce chorégraphique imaginée en solo sous la forme d’une météodanse.
Quelles ont été les principales questions/réflexions que tu as souhaité aborder avec cette première création ?
La météo, préoccupation ancestrale et sujet de conversation vieux comme le monde est très présente dans les discussions et illustre souvent nos intériorités. Intrigué par ce que la météorologie pouvait proposer d’imaginaire au mouvement dansé, mon désir était de faire entrer l’extérieur à l’intérieur, le dehors dans le dedans. Révéler les liens entre les mouvements extérieurs et les mouvements intérieurs. Plus concrètement, mon souhait était de mettre en relation un corps, mon corps, avec le mouvement de la lune, le coucher du soleil en passant par une tempête ou par des épisodes de sécheresse… Et de faire entrer tous ces phénomènes dans l’espace abstrait de la boîte noire. En jouant avec le lexique de la météorologie, je souhaitais jouer sur le parallèle voire la porosité entre ce que l’on perçoit du temps qu’il fait et ce que nous traversons émotionnellement, associant les états du ciel à nos états émotionnels et celui du monde.
Plus tard, en 2021, tu as créé Temps de Baleine, une pièce jeune public, à partir des matériaux de Baleine. Qu’est-ce qui a motivé cette (re)création à destination du jeune public ?
Plusieurs choses m’ont amené à cette recréation jeune public. Tout d’abord, je pense que j’ai souhaité imaginer un format à destination des jeunes car dans mon travail, l’enfance, cet état qui est parfois composé d’insouciance, de liberté, d’impulsion où le jeu a une place centrale, est une source d’inspiration et un moteur créatif. Lorsque je danse cette pièce, je rentre en contact avec ma danse d’enfant, comme pour m’approcher au plus près du plaisir provoqué par le fait de danser et aux surprises inattendues que cela fait advenir. J’aime l’idée de faire surgir l’enfant en moi dans un corps d’adulte. Aussi, je souhaitais imaginer ce spectacle comme une lecture. Le rapport à cette pratique chez les enfants m’intéresse car j’ai eu beaucoup de difficultés à me familiariser avec la lecture durant mon enfance, du fait de ma dyslexie. Jouer avec les mots dans différents contextes me semble fondamental pour apprendre et ressentir, et l’espace de la scène me semble être un terrain de jeu idéal pour cela. Dans Temps de Baleine, je propose un temps d’observation de sa propre lecture, de ce qui se met en mouvement dans le va-et-vient du regard lorsqu’on lit. J’aime penser la pièce comme un poème que l’on peut lire dans un sens ou dans un autre. Lire dans un corps, lire dans les mots ou lire dans les nuages.
Comment as-tu retravaillé et adapté les matériaux initiaux de Baleine pour Temps de Baleine ?
Dans l’adaptation de la pièce pour le jeune public, j’ai souhaité conserver la structure originale mais réinventer les rapports rythmiques et redéfinir avec soin les relations musicales. J’ai eu envie de jouer sur le temps qu’il fait mais aussi sur les rythmes que propose la météo. Comment le rythme peut-il transformer la lecture des enfants ? Comment des états de danse minimalistes peuvent-ils rebondir sur des propositions plus mouvementées. Cette forme adressée aux plus jeunes est volontairement exigeante et minimale. De manière assez artisanale, un langage s’y déploie et s’invente en passant d’une météo «généraliste» à une météo spécialisée, comme par exemple la météo marine. J’ai eu envie de me focaliser sur le temps, autant symboliquement que concrètement, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai rebaptisé le spectacle Temps de Baleine.
Quels échos Temps de Baleine trouve-t-il chez ce jeune public ? Quelles réflexions/dialogues ouvre cette proposition ?
Lors des échanges qui ont lieu à l’issue des représentations, je ressens, au regard de la crise environnementale majeure que nous subissons et face à une forme d’immobilisme politique face au danger des dérèglements environnementaux, la nécessité qu’ont les enfants à partager autour de ces enjeux et questionnements. J’aime le fait que ce spectacle puisse être un espace pour dialoguer de l’urgence climatique mais par un biais poétique. Je perçois chez elleux un besoin de se ressaisir des potentiels aspects merveilleux de la météo pour observer et affronter autrement les aspects catastrophiques dont iels sont bien conscient·es. Temps de Baleine est un hommage au ciel, où l’on peut lire entre les lignes, qu’il est urgent d’agir globalement pour protéger le spectacle que celui-ci nous révèle chaque jour.
Temps de Baleine, chorégraphie et interprétation Jonas Chéreau. Assistant à la dramaturgie, régie de tournée Marcos Simoes. Baleine (2019) Lumière Abigail Fowler. Son Aude Rabillon. Vidéo Emmanuel Larue. Conseil vocal Jean-Baptiste Veyret-Logerias. Administration, production, diffusion : Manakin. Photo © François Ségallou.
Temps de Baleine est présenté
le 31 janvier 2024 au festival POUCE ! La Manufacture CDCN,
le 2 février 2024 à L’Arsenal à Château d’Oléron,
le 12 mars 2024 au CCN de Caen en Normandie,
les 25 et 26 mars 2024 au festival Conversations du Cndc d’Angers
les 5 et 6 avril 2024 à La Soufflerie, Scène conventionnée de Rezé
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