Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 20 décembre 2023
Engagée depuis plusieurs années dans des activités pédagogiques et des projets chorégraphiques, Marion Muzac envisage la danse comme une pratique sociale. Avec sa dernière création Le Petit B, la chorégraphe imagine une expérience immersive et sensorielle à destination de la toute petite enfance. Dans cet entretien, Marion Muzac partage les rouages de sa démarche artistique et revient sur le processus de sa création Le Petit B.
Vous menez simultanément depuis plus de vingt-ans des activités pédagogiques et des projets chorégraphiques. Pourriez-vous revenir sur les différentes réflexions qui traversent aujourd’hui votre recherche artistique ?
Chacun de mes projets est une invitation à danser, adressée à des interprètes professionnels mais aussi et surtout à des personnes qui ne savent pas qu’ils·elles sont déjà danseurs·euses, ou peuvent l’être. Ce qui anime l’ensemble des créations est le plaisir de voir surgir la danse là où on ne l’attend pas, là où se révèlent les corps non façonnés par l’intégration de faire, par des techniques ou de codes stylistiques. Mon regard sur la danse s’apparente à celui d’une pratique sociale. L’espace et le temps de relation avec d’autres que l’on soit seul ou à plusieurs, les danses d’aujourd’hui, dans leur variété et leurs hybridations, sont en effet travaillées par les questions qui agitent nos sociétés. J’aime les projets fédérateurs et coopératifs. La vulnérabilité a toute sa place, elle est appréciée au sens de la poétique et du sensible.
Vous êtes à l’origine de nombreux projets participatifs, pour des adolescent·es, danseur·euses amateur·ices, etc. Quels sont les enjeux de cette perspective pédagogique dans votre démarche artistique ?
Cette période de la vie qu’est l’adolescence me plaît et m’attire toujours autant. J’aime les écouter sur leur vision du monde, alors que ce que nous leur laisserons n’est pas des plus brillantes, mais ils ont une dextérité et une capacité à inventer, à imaginer et parfois même à prendre la distance salutaire. Lorsque je travaille avec des adolescent·es, l’enjeux est de laisser naître des communautés éphémères qui partagent leur savoir être avant tout, et leur savoir-faire quel qu’il soit. Chaque participant·e est chargé·e d’une histoire avec le geste, le mouvement dansé qu’il·elle est en mesure de déployer sur la plateau est au service de l’écriture collective de la création.
Votre pièce Le Petit B, à destination du jeune public, est une plongée dans un paysage visuel et sonore. Pourriez-vous retracer l’histoire et la genèse de cette création ?
Ce projet est avant tout une commande du Gymnase CDCN à Roubaix et du réseau LOOP qui ont imaginé le dispositif les Mouvements Minuscules. L’objectif est d’encourager les artistes chorégraphiques à créer pour la toute petite enfance, âge pour lequel l’offre de spectacles de danse est plus ténue. L’enjeu était de taille puisque je n’avais jamais imaginé être en capacité de créer un projet pour des tout petits, et ce dès l’âge de six mois ! Mais l’envie a été assez spontanée, avec la prise de conscience de ce qu’ont vécu ces jeunes enfants nés quelques mois après la pandémie. Avec pour premières interactions sociales, via la crèche ou l’école, des visages cachés, coupés de leurs émotions, des expressions effacées, alors que l’on connaît la valeur et l’importance des « mimiques » comme moyen de communication à cette période de la vie. Nous avons été empêchés d’interagir avec eux, l’empathie corporelle n’existait plus ou très peu, or on sait toute l’importance du dialogue infra verbal et l’importance du toucher.
Comment avez-vous initié le travail de recherche ?
Une fois la réflexion posée sur le papier, ce sont un maximum d’expériences de corps que nous avons mis en œuvre avec toute l’équipe : danseur·euses, musicien·nes, scénographe. Plusieurs immersions dans différentes crèches ont pu avoir lieu, nous avons pu y observer les habitudes de ces mini sociétés, relever des expériences, appris de nos maladresses. Suite à cela, les résidences de création se sont déroulées comme la plupart des résidences avec des questions, des échanges, des essais au sein même de l’équipe artistique. En revanche, il était convenu dès le début de réaliser un projet adapté à ce public sans pour autant tomber dans la facilité, le « cabotinage ». Nous tenions à une écriture ciselée, exigeante, abstraite et résolument contemporaine. Le processus du Petit B n’a donc pas été différent de mes précédentes créations.
Vous avez collaboré avec la plasticienne Émilie Faïf pour la scénographie. Pourriez-vous revenir sur votre rencontre, l’histoire de cet espace plastique et comment vous avez travaillé l’écriture chorégraphique à partir de ces matériaux manipulables ?
Le travail avec Émilie Faïf a été réalisé au tout début du processus de création où ensemble, nous avons passé une semaine dans une crèche à St Etienne du Rouvray pour tester différentes pistes. Des éléments de la scénographie étaient conçus au jour le jour avec les enfants et les professionnels.les de la petite enfance, ce qui nous a permis de prendre rapidement la décision de multiplier ces coussins en forme de seins, d’en proposer différentes tailles capables d’accueillir et d’épouser la forme du corps. La multiplication permet aux deux interprètes de construire différents paysages, des images apparaissent furtivement et se déconstruisent grâce à leur habileté corporelle qui joue avec les questions de temps et de rythme. Les spectateur·trices passent ainsi par différentes sensations en voyant les modules circuler devant eux, en s’en approchant au plus près, ou en s’y abandonnant lorsqu’ils sont invités à se déposer dessus. La question de la texture, de la matière était primordiale mais aussi la taille des coussins qui peuvent apparaître comme gigantesques par rapport à celle des tout petits.
Vous avez collaboré avec les musiciens Johanna Luz et Vincent Barrau – Jell‐oO, qui se sont inspirés du Boléro de Ravel pour imaginer la musique. Pourriez-vous revenir sur l’histoire et le processus musical de Petit B ?
Lorsque j’ai invité Johanna Luz et Vincent Barrau à participer à ce projet, je leur ai demandé de réfléchir à une forme musicale basée sur la notion de répétition. Leur proposition musicale laisse entendre un son qui part de peu et qui, au fur et à mesure, grandit, insiste, se déploie jusqu’à une explosion finale comme une libération, un élan vers l’émancipation. Cette progression peut s’imaginer comme celle d’un jeune enfant qui tient à peine debout et qui, par l’expérience du corps, se lance alors à la découverte du monde qui l’entoure. Par ses modules répétitifs, ses sons doux et harmonieux, cette création musicale favorise la sensation d’immersion et installe le·la spectateur·trice dans un état méditatif. Les enfants et les adultes se laissent aller à la rêverie. La musique berce et invite à la détente des corps installés au sol ou plongés, parfois, au milieu des coussins.
Vous avez imaginé cette proposition comme une aventure sensorielle. Comment avez-vous travaillé cette mise en condition ?
Notre désir se situait à l’endroit de la douceur, de l’apaisement autant pour les enfants que pour les adultes. J’avais envie de créer une proposition immersive, une bulle hors du temps, comme pour se régénérer avant de repartir dans un monde chaotique et suractif. Pour apprécier et entrer dans cette proposition, il faut être disponible et serein. C’est pourquoi nous avons imaginé un moment avant spectacle, tel un rituel de passage. À chaque représentation, nous proposons un temps d’accueil avec les spectateur·trices avant de les laisser accéder au plateau. Ce moment de relâchement peut paraître anodin mais c’était pour nous important de proposer un sas de décompression avant le spectacle, afin de (re)canaliser l’énergie et sa concentration, autant pour les petits enfants que pour les grandes personnes.
Le Petit B, conception, chorégraphie Marion Muzac ‐ Participation à la création Mostafa Ahbourrou, Maxime Guillon-Roi-Sans-Sac, Valentin Mériot, Aimée Rose Rich. Interprétation Mostafa Ahbourrou, Florent Brun, Maxime Guillon-Roi-Sans-Sac, Valentin Mériot, Aimée Rose Rich (2 interprètes en alternance) . Collaboration à la chorégraphie Mathilde Olivares. Scénographie Émilie Faïf. Musique Johanna Luz, Vincent Barrau ‐ Jell‐o0. Photo © Frédéric Iovino.
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