Photo © Studio Delestrade Cédric Mickael

Emilio Calcagno / Ballet de l’Opéra Grand Avignon, Storm

Propos recueillis par Ludivine Ledoux

Publié le 28 avril 2023

Pour sa première création en tant que directeur du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, le chorégraphe Emilio Calcagno imagine une pièce où danseuses et danseurs sont aux prises avec un partenaire rarement invité sur les plateaux des théâtres : le vent. Dans cet entretien, Emilio Calcagno revient sur sa rencontre avec les danseur·euses du Ballet de l’Opéra Grand Avignon et partage le processus de création de Storm.

Storm est votre première création avec les 14 danseur·euses du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, où vous êtes directeur de la danse depuis septembre 2021. Comment s’est engagé le travail avec cette nouvelle équipe ?

Lorsque je suis arrivé à l’Opéra Grand Avignon, le projet était d’amener les danseur·euses du Ballet, de formation plutôt néo-classique, vers des écritures plus contemporaines. Avec cette première création, j’ai eu envie de les confronter à de nouvelles physicalités en les confrontant à une donnée physique inhabituelle sur une scène de théâtre : le vent. Lorsque je commence une création, j’ai pour habitude de travailler l’improvisation et la composition avec les danseur·euses. Étant donné que je ne connaissais pas encore très bien «chorégraphiquement» les danseur·euses du ballet et que nous n’avions pas énormément de temps pour expérimenter ensemble, j’ai écris une grande partie de la chorégraphie et les danseur·euses ont participé à certaines parties à partir d’improvisations dirigées. Ce qui était intéressant pour moi dans cette première collaboration était de mettre à profit les possibilités techniques d’un corps de ballet : composer avec la notion d’ensemble, l’espace, les diagonales, etc. Et c’est un vrai régal pour un chorégraphe !

Le Ballet de l’Opéra Grand Avignon est considéré comme une institution «classique». Comment avez-vous négocié votre écriture «contemporaine» avec cette donnée ?

Je respecte l’histoire de ce Ballet tout comme la technicité de ces danseur·euses. Par exemple, introduire des passages sur pointes dans la partition de Storm est une manière de considérer cet héritage. Pour moi, renouveler ne veut pas dire tout balayer ou tout révolutionner, au contraire : on respecte l’histoire d’une maison et on essaie de la faire évoluer. Aujourd’hui, après plus d’un an dans les murs de l’Opéra et à travailler avec le Ballet, je peux dire que j’ai sans doute une vision et une orientation plus juste par rapport à ce nouveau contexte de création. En témoigne ma dernière pièce pour le Ballet l’automne dernier, D’un matin de printemp, qui emprunte ses musiques à des compositeurs de la fin du XIXe et début XXe siècle (Gabriel Fauré, Maurice Ravel, Claude Debussy, Lilli Boulanger, Erik Satie, Olivier Messiaen, ndlr), ou encore les créations des chorégraphes Hervé Koubi et Edouard Hue qui revisite respectivement le Boléro de Ravel et L’Oiseau de Feu de Stravinsky.

Dans Storm, les danseur·euses se confrontent à des ventilateurs industriels pouvant souffler jusqu’à 90 km/h. Pourriez-vous revenir sur le processus chorégraphique ?

Sans jeu de mot, Storm a été une véritable tempête, autant pour moi que pour les danseur·euses. Les premières répétitions ont été un peu laborieuses… C’était la première fois qu’on travaillait ensemble et on devait à la fois apprendre à se connaître et apprivoiser ces machines. J’ai encore le souvenir des danseur·euses avec des lunettes et des écharpes durant les répétitions pour se protéger du vent ! Je suis arrivé avec une première partition que nous avons confrontée et adaptée à ce dispositif. Nous avons expérimenté avec le vent, en faisant des tentatives, en déplaçant les ventilateurs aux quatres coins du plateau, en modulant la vitesse du vent, etc. La pièce s’est ainsi construite de manière empirique, au fur et à mesure des expérimentations avec le vent. L’idée n’était pas de lutter tout le temps contre le vent mais de mettre en jeu de nouvelles forces physiques : le vent freine les mouvements, perturbe l’équilibre des danseur·euses, enveloppe physiquement les corps, etc.

Les costumes occupent une place particulière dans l’écriture des tableaux. Comment participent-ils à la dramaturgie de Storm ?

Je souhaitais créer des personnages qui sortent de l’ordinaire. Je me suis inspiré des tableaux de Velasquez et de leurs esthétiques baroques pour nourrir l’imaginaire des silhouettes. L’Opéra Grand Avignon possède un énorme stock de costumes et j’ai pris beaucoup de plaisir à fouiller dedans et j’ai trouvé de magnifiques pièces d’anciennes productions, comme des boléros brodés de perles. Storm commence avec ces costumes puis au fur et à mesure de la pièce ces couches d’histoires finissent par laisser apparaître un tissu blanc trés fin. C’était pour moi une métaphore manifeste : le vent balaie les oripeaux du passé et laisse place à une forme de renouveau.

Vous avez collaboré avec le guitariste Matthieu Rosso et saxophoniste Denis Guivarc’h, un duo électro/jazz. Pourriez-vous partager le processus musical de Storm ?

Je connais Matthieu depuis longtemps, nous avons déjà collaboré ensemble pour un projet avec le Ballet Preljocaj. Matthieu et Denis travaillent et expérimentent ensemble depuis de nombreuses années et ils ont une dynamique de recherche que je trouve extrêmement stimulante. Je n’avais pas d’envies particulières au début, seulement des orientations esthétiques telle que le jazz-électro propre à leur travail. Matthieu et Denis étaient présents lors des répétitions avec les danseur·euses et se sont inspirés de ce qu’ils voyaient pour proposer un paysage sonore et des séquences musicales. Avec Storm, leur défi était de trouver le bon équilibre et la bonne complémentarité entre les instruments et le son du vent. Ils ont ensuite réalisé des maquettes en studio avec des enregistrements des ventilateurs afin de prendre en compte le son très spécifique de cet objet dans leur composition. J’aime beaucoup l’univers qu’ils ont imaginé, notamment avec le saxophone qui apporte une nouvelle sensualité dans la musique.

Chorégraphie Emilio Calcagno. Musique Mathieu Rosso et Denis Guivarc’h. Décors et Lumières Hugo Oudin. Avec les danseur·euses du Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Photo © Studio Delestrade Cédric / Mickael.

Storm est présenté les 11 et 12 mai au 104 dans le cadre du Festival Séquence Danse Paris