Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 24 juillet 2018
Les Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) sont des institutions culturelles françaises créées au début des années 1980. Ces lieux dédiés à la danse, dont les missions comprennent création, diffusion et transmission sont dirigés par des artistes. Le projet de chacun des 19 CCN du territoire est sans nul doute le reflet d’une ligne de conduite transversale, mêlant préoccupations esthétiques, sociales, curatoriales et politiques. Plusieurs de ces chorégraphes-directeur.trice.s se sont prêté.e.s au jeu des questions réponses. Ici la chorégraphe Ambra Senatore, directrice du Centre chorégraphique national de Nantes depuis janvier 2016.
Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre la direction du CCN de Nantes ?
Lors de mon arrivée en France il y a plusieurs années, j’ai été frappée par la qualité du soutien à la création chorégraphique et son articulation avec une approche très développée de la médiation et des relations avec les publics. Elle témoigne de la conscience que le travail créatif, culturel et artistique concerne la communauté. Cela me semble l’élément central qui donne du sens à l’existence même de la création artistique. À la base de mon travail, il y a la relation et la rencontre. Cette relation ne peut se faire que dans la durée. Il faut effectivement du temps pour instaurer et tisser une belle relation avec les habitants d’un territoire. C’est avec ce désir de partage que j’ai souhaité postuler au CCNN : une telle institution permet en effet de développer la relation avec les personnes dans la durée et la continuité.
Quels sont les plus grands défis lorsqu’on dirige un CCN ?
Lorsqu’on dirige une institution, on est forcément partagé entre, d’un côté, la recherche, la création et de l’autre, le temps que nécessite le fonctionnement en interne d’un CCN. En postulant à la direction du CCN de Nantes, j’avais pleine conscience que les tâches et missions auxquelles j’allais être confrontée pouvaient risquer de m’extirper du studio et du temps de création. Construire une saison, développer des actions culturelles, rencontrer les institutionnels, les acteurs culturels, nouer de nouvelles relations avec les habitants… nécessitent un énorme travail au quotidien. Donc un des plus grands défis est celui de continuer à avoir le temps et les énergies pour créer. J’ai la chance d’être entourée d’une merveilleuse équipe qui porte mon projet avec envie et enthousiasme. Toutes ces personnes me permettent de rester chorégraphe. De fait quand je me dédie à ma création je le fais presque de façon plus concentrée que lorsque je dirigeais ma compagnie indépendante. Un autre défi est de sélectionner les projets que nous soutenons parmi les très nombreuses demandes reçues : accepter que malheureusement mais forcément il faut répondre beaucoup de non. Mais bon, de l’autre côté il y aussi tout les oui qu’on peut dire…
Quelles sont les particularités de votre CCN ? Quelles sont ses ambitions ?
Lieu dédié à la création d’œuvres chorégraphiques et à la recherche artistique, le CCN de Nantes est au service des artistes chorégraphiques et des citoyens. Il est un outil de travail à partager avec d’autres artistes. Je ne souhaite pas en faire un espace qui m’est exclusivement réservé. L’ouverture et la rencontre sont les maîtres mots du CCN de Nantes, afin qu’il devienne un acteur du vivre ensemble. Au CCN de Nantes, nous œuvrons pour que la danse soit fréquentée par le plus grand nombre à travers des expériences multiples. La diffusion d’une culture de la danse n’est pas une finalité en soi, mais trouve sa valeur et son but lorsque la danse permet de se mettre à l’écoute de soi et de l’autre, de partager, de créer de la communauté. J’ai confiance dans la force de la danse à créer des liens humains. C’est pour cela que je crois à l’importance de construire une culture de la danse et de la rendre accessible au plus grand nombre.
Sur le plan artistique, quelles dynamiques souhaitez-vous donner à votre CCN ?
La vocation du CCN est celle d’un lieu de création (donc pas de programmation). Je veux défendre cet aspect de fabrique, de recherche, de travaux en cours : indispensable pour les artistes mais aussi précieux pour les spectateurs et participants aux activités variées liées à la création. Même si la programmation n’est pas le centre de mon projet, en observant le besoin de visibilité des compagnies on se dédie parfois à la diffusion pour mieux répondre à notre mission d’accompagnement des autres chorégraphes. Je souhaite mettre en place une approche horizontale des différents projets portés par le CCN. Personnellement, j’attache autant d’intérêt et de valeur à une représentation, une rencontre avec le public ou à un atelier. C’est pourquoi le CCN de Nantes propose de multiples rendez-vous tout au long de la saison, allant de la sortie de résidence à l’atelier de pratique amateur, de la master-class pour les danseurs professionnels à un spectacle tout public dans l’espace public. Nous ne défendons pas une esthétique ciblée mais une ouverture à la richesse des écritures chorégraphiques actuelles.
À vos yeux, depuis leurs créations au début des années 80, comment ont évolués les CCN ?
Les missions des CCN se sont élargies et enrichies, pour devenir des institutions complexes en termes d’articulation de leur missions et de la communication qui peut en être faite. Mais c’est aussi la grande richesse de ces maisons : production, diffusion, résidences, médiation, culture chorégraphiques peuvent être pensées de manière complémentaire. Cela dit, les CCN prennent une place de plus en plus importante dans la production des œuvres chorégraphiques, et cela ne peut être suffisant. Il faut davantage travailler ensemble, avec les théâtres, pour permettre aux artistes de créer et de voir leurs œuvres diffusées le plus largement.
Quels enjeux de la danse voulez-vous défendre aujourd’hui ?
Je souhaite une danse ouverte et inclusive, au plus près des personnes. C’est pourquoi la diffusion des pièces de danse est un grand enjeu pour notre secteur d’activité, et que je souhaite aux artistes de pouvoir montrer leur travail largement. C’est particulièrement difficile pour les jeunes créateurs, mais toutes les générations des chorégraphes sont concernées.
Photo © CCNN – Bastien Capela.
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