Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 18 juillet 2018
Les Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) sont des institutions culturelles françaises créées au début des années 1980. Ces lieux dédiés à la danse, dont les missions comprennent création, diffusion et transmission sont dirigés par des artistes. Le projet de chacun des 19 CCN du territoire est sans nul doute le reflet d’une ligne de conduite transversale, mêlant préoccupations esthétiques, sociales, curatoriales et politiques. Plusieurs de ces chorégraphes-directeur.trice.s se sont prêté.e.s au jeu des questions réponses. Ici le chorégraphe Yuval Pick, directeur du CCN de Rillieux-la-Pape depuis août 2011.
Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre la direction du CCN de Rillieux-la-Pape ?
Après avoir dirigé une compagnie indépendante qui n’avait pas de lieu propre, j’ai eu l’envie d’inscrire mon travail dans une structure afin d’avoir un ancrage à partir duquel déployer mon projet artistique. Étant déjà actif en région lyonnaise, ce désir d’être au cœur d’un territoire s’est tout naturellement concrétisé au Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape. Ici, une des principales singularités de mon projet réside dans la présence d’une compagnie de danseurs permanents. Avec eux, je peux partager et enrichir ma vision artistique et leur donner la possibilité de développer leur expérience en tant qu’artistes. Ma recherche chorégraphique s’établit ainsi dans la durée et en profondeur avec un groupe d’artistes interprètes aguerris et en capacité de creuser toujours plus profond, d’un projet à l’autre. C’est un engagement à la fois esthétique et social. Je suis sensible à la façon dont la danse peut s’immiscer dans la vie des autres, et comment l’art peut apporter un autre regard sur la vie, ici, à Rillieux-la-Pape.
Quels sont les plus grands défis lorsqu’on dirige un CCN ?
Un des plus grands défis est de trouver la bonne articulation entre la fonction d’artiste et celle de directeur : comment entretenir le « feu » artistique au quotidien, conserver sa capacité à explorer l’inconnu et savoir être directeur, c’est-à-dire diriger et accompagner une équipe qui puisse transmettre mon discours artistique et sache porter ce projet à mes côtés.
Quelles sont les particularités de votre CCN ? Quelles sont ses ambitions ?
Notre CCN est situé à la périphérie d’une métropole. Les habitants de ces villes excentrées se sentent souvent dévalorisés par rapport aux habitants des villes centres. À l’image de cette banlieue bétonnée mais entourée d’arbres, je souhaite valoriser les « racines » de chacun. J’aimerais inviter les habitants à contribuer à cet espace commun que nous partageons tous ensemble et retisser avec eux un sentiment d’appartenance. Comment une ville riche de 73 nationalités peut-elle être transformée par nos projets artistiques ? Enfin, Lyon est une capitale de la danse, et au CCN je développe un regard singulier à travers notre programme de résidences d’artistes, notre festival Cocotte et la collaboration avec d’autres structures internationales de création. Je porte une attention particulière à la jeune création, et ceci va se manifester prochainement par la première édition de la plateforme européenne de la danse co-organisée par le CCNR et la Biennale de Lyon.
Sur le plan artistique, quelles dynamiques souhaitez-vous donner à votre CCN ?
Ma première préoccupation est la recherche chorégraphique. Le rôle du danseur est au cœur de mon travail et je recherche à approcher l’excellence dans l’interprétation. Les danseurs sont là pour incarner, par leur interprétation, cette écriture du mouvement. L’objectif principal est de vivre et de faire vivre cette écriture, de traduire le vivant. Afin d’approfondir cette question et toutes les tâches complexes qu’elle impose, j’ai créé une pratique qui s’appelle Practice. Comment former un danseur aujourd’hui, et comment lui donner la place qu’il mérite ?
À vos yeux, depuis leurs créations au début des années 80, comment ont évolué les CCN ? Quels sont leurs enjeux aujourd’hui ?
La création reste toujours au cœur des missions des CCN aujourd’hui. Aujourd’hui, nous sommes soumis à la globalisation, l’individu est « marketé », réduit à son statut de consommateur. L’artiste doit veiller à ne pas tomber dans ces excès, mais plutôt à créer une œuvre au sens littéral du terme. Un spectacle n’est pas un produit. Pour donner naissance à une pièce, nous avons besoin d’un temps de « gestation » mais aussi d’espace. Porter une création est un acte politique fort car nous donnons à voir le monde d’une manière différente. Selon moi, mettre à disposition un écrin tel que le CCNR est un acte politique et sociétal fort. La danse est un art vivant, éphémère qui utilise le langage du corps, ce qui est complexe et parfois abstrait. J’envisage le CCNR comme le lieu de tous les possibles, qui permet aux artistes comme aux habitants de se révéler. À ce titre, il est très important de défendre l’existence et la pérennité de ces lieux dédiés à la création de la danse.
Photo © Sébastien Erome
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