Par Wilson Le Personnic
Publié le 10 novembre 2016
Le cinéaste César Vayssié tisse depuis plus de vingt ans des liens avec le champ chorégraphique. Il collabore régulièrement avec des artistes tels que Philippe Quesne, François Chaignaud ou Boris Charmatz, signant avec eux des films expérimentaux où le geste chorégraphique devient matière cinématographique. Avec Coproud (proposition pour danseuse expérimentée), il signe sa première excursion personnelle sur un plateau de théâtre. Mais, sans doute trop timide pour assumer la figure du solo, il invite une danseuse « expérimentée » à l’accompagner, dessinant un duo polymorphe où l’expérience côtoie l’expérimentation. Un couple à plusieurs visages donc, qui met en jeu une double histoire de la danse : celle d’un corps virtuose et celle d’un corps en quête.
Créée à la Ménagerie de Verre à Paris, Coproud ouvre l’édition 2016 du festival Les Inaccoutumés. Aucun autre lieu n’aurait pu accueillir avec autant de justesse cette proposition décalée, dans l’espace brut d’un ancien garage.L’entrée se fait en fanfare : Olivia Grandville et César Vayssié déboulent au volant d’une BMW noire dans la salle OFF. Sous les phares plein feu, leurs silhouettes se découpent derrière un pare-brise mouillé de pluie, tandis que résonne Le Monde ou rien du groupe PNL. D’emblée, le ton est donné : subversion joyeuse, désacralisation des codes, effraction légère dans les attentes du public.
Sur le plateau, les deux complices construisent une partition chorégraphique à partir du regard, du décalage et de la cohabitation. Olivia Grandville, forte d’une carrière traversant l’Opéra de Paris et la compagnie Bagouet, cisèle des mouvements d’apparence désinvolte, marqués par une virtuosité éclatante. À ses côtés, César Vayssié campe une figure d’anti-héros en quête d’un geste primitif. Le duo invente un jeu de mimesis décalée, où l’un mime l’autre avec un léger retard, où surgissent des échos burlesques, des éclats d’improvisation, et un motif récurrent : celui du « schuss » en déséquilibre. Grandville quittera même brièvement la salle pour une danse nocturne sous la pluie, caressant d’une main rêveuse le capot de la voiture avant d’y remonter, éclaboussée par les néons vacillants.
La BMW, garée de travers dans l’espace, devient un troisième partenaire de jeu, source sonore autant que totem.Musique éclectique jaillie de l’habitacle : People are People de Depeche Mode, entremêlé au célèbre Yes We Can de Barack Obama, fait vibrer l’espace d’un possible commun, d’un ailleurs politique dans cet improbable pas de deux. Une porosité joyeuse des catégories s’impose, une explosion des hiérarchies entre amateur et professionnel, entre danse, théâtre et installation. Dans cette création faussement improvisée, tout est écrit avec malice et liberté, dans un éclat salutaire de poésie indisciplinée.
Vu à la Ménagerie de verre. Photo © César Vayssié.