Photo ©Leuridan

Nina Santes, Hymen Hymne

Par Wilson Le Personnic

Publié le 17 février 2018

À mi-chemin entre rituel magique et performance immersive, Hymen Hymne, la nouvelle création de Nina Santes, questionne l’imaginaire contemporain de la sorcière. Figure insaisissable aux multiples visages, la sorcière continue de nourrir l’imaginaire collectif, fascinant artistes et chorégraphes par son lien étroit au corps et à l’incarnation. À quoi ressemblerait une sorcière d’aujourd’hui ? Nina Santes est allée rencontrer différentes personnes aux quatre coins du monde pour nourrir sa recherche et tenter de dessiner les contours de cette silhouette aux multiples visages.

Voyages initiatiques

Pour son premier solo Self Made Man, la chorégraphe s’était rapprochée de l’artiste performeuse Diane Torr – pionnière des mouvements drag king – avec laquelle elle est restée, travestie, une semaine à Berlin. Pour préparer sa deuxième création Hymen Hymne, Nina Santes a entrepris un voyage de recherche à San Francisco (accompagnée de l’artiste Camille Ducellier) afin d’aller à la rencontre de nouvelles communautés d’activistes qui articulent magique et politique dans leurs pratiques, ainsi que de pionnières de l’écoféminisme, dont Starhawk : « Nous logions chez elle, nous l’avons suivie dans son quotidien, dans des rituels, nous avons rencontré de nombreuses personnes qui gravitent autour de ces mouvements comme Black Lives Matter (…) L’idée n’était pas de collecter du matériel pour la pièce mais de construire le terreau de pensée à partir duquel nous allions travailler ensuite. »

Nourrie par cette première expérience aux États-Unis, la chorégraphe a poursuivi sa recherche à Santiago, au Chili, et au Liban avec une partie de ses interprètes : « Au Moyen-Orient, la figure de la sorcière résonne de plusieurs façons : il y a les pleureuses encore très actives, les mystiques, des femmes qui se disent possédées… Socialement, elle est aujourd’hui beaucoup reliée à l’homosexualité. » À Beyrouth, Nina Santes a pu assister au rituel hebdomadaire d’une mystique qui se dit possédée par Marie et Saint Charbel : « Elle est très connue dans le quartier, tout le monde sait où elle habite. Lorsque nous sommes arrivées chez elle, il y avait des gens partout dans l’appartement (…) C’était une performance hallucinante, tout le monde filmait, il y avait une rosace de téléphones portables autour de sa tête, c’était un véritable rituel 2.0. »

Au cœur du rituel

Le public est invité à parcourir l’espace du plateau, lui-même jonché d’artefacts, pour découvrir, parmi la foule des autres spectateurs, la performance où se mêlent chants et manipulations d’objets. « Je souhaitais prolonger mon rapport aux objets, déjà expérimenté avec Célia Gondol dans notre précédent spectacle A leaf, far and ever, voir comment ils peuvent être des supports de fiction, voir aussi comment ils nous engagent dans des projections, aussi bien pour les danseurs que pour les spectateurs. » Munies de lampes torches, des silhouettes circulent parmi la foule en mouvement, manipulent des couvertures, des tissus, des réflecteurs, des tubes de verre, des pièces de métal… autant d’objets aux allures de talismans. « Je me suis inspirée de certains processus écoféministes pour construire le spectacle, dont un protocole observé lors d’une manifestation : pleurer les choses qu’on souhaite voir disparaître, les enterrer collectivement, retrouver ensemble des espaces sociaux… conjurer pour trouver une puissance d’agir. »

Croisant une approche documentaire et une étude quasi-anthropologique autour de la magie et de ses rituels, la chorégraphe choisit de faire dialoguer les corps et les voix des interprètes, en direction du groupe de spectateurs désormais constitué. Les corps se métamorphosent, le dispositif garde souvent sa part de mystère, dans le clair-obscur des lampes torches : « Je ne voulais pas construire une image et la figer ; pour moi la sorcière est une figure immanente, c’est plus une énergie à convoquer… Je le relie à Starhawk, qui parle de la magie comme d’un art de la transformation… Ce n’était pas quelque chose qui devait arriver dans le corps des danseurs pour être observé de l’extérieur… » Entre les interprètes et les spectateurs se tisse alors un délicat rapport de fascination. Dans son étrangeté apparente, Hymen Hymneparvient à transmettre une douce énergie à l’ensemble du collectif réuni dans cet espace liminal, le nimbant d’une aura magique, inclusive et exutoire.

Vu au festival Pharenheit.
Photo © Annie Leuridan.