Par Marika Rizzi
Publié le 29 janvier 2018
La compagnie TG STAN aime jouer avec les codes du théâtre. Plaçant sensiblement des décalages, petits en manifestation mais symboliquement grands, ils interpellent les habitudes du spectateur. L’interprète est au centre de la démarche de cette compagnie singulière qui signifie dans son appellation sa posture première : Stop Thinking About Names. C’est pour ne pas se soumettre à la tyrannie d’un metteur en scène que les quatre membres de TG STAN opèrent en collaboration et loin des dogmes. Déjà en costume mais avec des attitudes entre le jeu et le quotidien, les quatre comédiens Jolente De Keersmaeker, Els Dottermans, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen occupent la scène pendant l’entrée du public. Ils leur arrive de dire quelques mots aux spectateurs des premiers rangs et n’hésitent pas à signaler les places restées vides aux derniers arrivés ; tout comme, dans le jeu, ils avouent avoir dans la main le texte de la pièce pour le lire en direct ou encore demander la réplique au souffleur quand la mémoire fait défaut. Entre engagement et dévoilement, TG STAN donne en partage les clés du métier, venant déstabiliser les mœurs propres à la fiction théâtrale.
Quoi/Maintenant met en scène un prologue d’après Dors mon petit enfant de Jon Fosse, auteur dramatique norvégien, suivi de Pièces en plastique de Marius von Mayenburg, dramaturge et auteur dramatique allemande en résidence à la Schaübuhne depuis 1999. Dors mon petit enfant donne à entendre un échange entre trois personnes qui semblent ne pas se comprendre. Partition sonore et rythmique, les mots et les phrases se succèdent et créent une tension émotionnelle tout en échappant à la fabrication du sens. Dans une sorte de confusion qui avance par affirmation, aussitôt fragilisée par le doute, l’échange entre les trois personnages est hermétique et parfois contradictoire. Ce court texte sert d’introduction synthétique et abstraite aux paradoxes d’ordre moins métaphysiques qui vont suivre.
La coupure de registre et d’univers est marquée par l’actrice restée muette pendant le prologue. Dans Pièces en plastique elle incarne Ulrike, artiste assistante du plasticien conceptuel Serge Haulupa et femme de Michael, médecin débordé autant par son travail que par sa vie maritale. Le couple essaie de maintenir un équilibre face aux effractions que le réel impose à leurs valeurs humanistes. Ainsi la présence de Jessica, jeune femme d’origine polonaise engagée par la famille pour s’occuper des tâches ménagères et de Vincent, le fils touché par une puberté précoce, vient bousculer cette stabilité précaire. Pris au piège par une série de contradictions et de maladresses, le couple s’efforce d’intégrer Jessica dans son microcosme. En réalité mari et femme s’affolent et craignent que la sphère familiale soit mise en péril par une présence venant d’un ailleurs social. Le décor représentant l’espace de vie du couple se résume à une longue table sur laquelle est disposée une série de bouteilles d’alcool d’où les deux se servent régulièrement. Satire aux répliques brutales, Pièces en plastique frôle la gène par sa cruauté et par ses détournements que les quatre artistes arrivent à rendre comiques.
TG STAN s’empare des thématiques brulantes et des traits caricaturaux d’un monde contemporain en crise qui critique impuissant ses propres attitudes et réflexes. Pièces en plastique devient le miroir acéré d’un système où la domination sociale résiste en même temps qu’elle côtoie des idées à caractère progressiste. La troupe arrive à créer une distance et apporte décalage et humour à l’intérieur du texte, joué en français les quatre comédiens flamands ne cachent pas ce défi supplémentaire. L’effort de prononciation face à une langue étrangère ainsi que leur accent procure au texte une cadence particulière et offre au jeu une qualité de concentration spécifique. Les deux textes apposés procurent un contraste de forme et de style. La rigueur de composition linguistique et l’aspect irrationnel du premier aident à amorcer le caractère nettement plus réel du deuxième. Dors mon petit enfant offre ainsi une entrée poétique aux frictions complexes et conflictuelles qui animent la société occidentale d’aujourd’hui et dont Pièces en plastiques fourni un concentré exubérant et exhaustif.
Vu au Théâtre de la Bastille. D’après Dors mon petit enfant de Jon Fosse, en prologue à la pièce Stück Plastik de Marius von Mayenburg. Lumières Thomas Walgrave. De et avec Jolente De Keersmaeker, Els Dottermans, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen. Photo © Koen Broos.