Par François Maurisse
Publié le 12 mars 2018
Artiste associé au Centre National de la Danse, Volmir Cordeiro s’est vu confié l’organisation d’une soirée inédite, pour laquelle il a convié à ses côtés ses compagnons de création, qu’ils soient interprètes ou chorégraphes. Le chorégraphe brésilien, pourtant habitué aux formes performatives en solo, a pu déployer ici tout un programme d’extraits de différents travaux aussi divers que cohérents. Les artistes de ce petit cabaret fantaisiste se sont donc réunis dans le Grand Studio du CND, accueillant les spectateurs par des chants, des rires et des baisers. En même temps à l’étage au dessus, était présentée l’exposition L’oeil la bouche et le reste, rassemblant déjà bon nombre d’extraits chorégraphiques, anciens ou plus récents autour d’une thématique commune : les corps, leurs plis et leurs méandres.
La performeuse et metteuse en scène Aude Lachaise, travaillant un discours parfois drôle, parfois grinçant est désignée cette fois pour être la Mistress of Ceremony de cette soirée, ressemblant à la fois à une Madame Loyal enchaînant les numéros de cirque et à une patronne de maison close, vantant les mérites de ses filles. Armée de son synthétiseur, elle permet de faire le lien dans le déroulé hétérogène de la soirée. L’ouverture est assurée par un extrait de Chicória, le solo prophétique d’Isabela Fernandes Santana. Les yeux écarquillés, ou dissimulés par les paumes de ses mains, la brésilienne développe une chorégraphie d’une ampleur pythique, comme si sa bouche s’apprêtait à proférer les paroles d’un oracle inédit, cantonnant pourtant ses mouvements aux organes de son visage et de ses environs.
Si Jérôme Marin, en garnement glamour et plumé, ponctuant la soirée de plusieurs chansons, rythmées par les danseurs autour de lui frappant du pied et des mains, prend la notion de cabaret au pied de la lettre, d’autres artistes permettent eux de déplacer la thématique burlesque, croisant le music-hall et la performance. L’outrancier Epoque, de Volmir Cordeiro et Marcela Santander Corvalán permet, sans doute grâce à l’influence de Valeska Gert, d’imbriquer les deux esthétiques et de teinter cette fois la chorégraphie d’une humeur curieuse, étrange, déployant une puissance rare tant le cadre semble lui convenir. Les incursions d’Ana Rita Teodoro, avec des extraits de son Fantôme Méchant au cour de la soirée, permettent eux aussi de croiser ces esthétiques. Gardant un état de corps hiératique, arborant des bras et un buste sculpturaux, constellés de petits bouts de scotch colorés, la portugaise assume la théâtralité, incarnant des chants anciens, transformant ses gestes en de petits rituels païens.
Enfin, Claudia Triozzi, en chantant à tue-tête ou en projetant une vidéo extraite de son spectacle Boomerang ou « le retour à soi », ne s’inscrit pas tout à fait dans l’esprit de cabaret mais engage une réflexion bienvenue sur les corps, qu’ils soient vivants ou inanimés, montrant des « cadavres » de voitures manipulés sans précaution par une immense main métallique. Si le corps est pensé comme un assemblage mouvant d’une multitude d’organes indépendants les uns des autres, alors c’est dans cet définition que s’inscrit la cohérence de cette Nuit des visages. Autant d’artistes et de formes, comme autant de membres, de muscles, d’os et d’articulation d’un système esthétique complexe et inconstant, proposant un laboratoire pour penser une façon un peu différente de présenter la danse, assumant son insolence et sa canaillerie.
Vu au Centre National de la Danse à Pantin. Volet performatif de l’exposition L’œil la bouche et le reste. Conception Volmir Cordeiro, Marcela Santander Corvalán, Margot Videcoq. Avec Volmir Cordeiro, Isabela Fernandes Santana, Marcela Santander Corvalán, Jérôme Marin, Ana Rita Teodoro, Claudia Triozzi et Aude Lachaise. Photo © Alain Monot.