Propos recueillis par Agathe Le Taillandier
Publié le 7 septembre 2022
Dalila Belaza développe depuis maintenant plusieurs années un travail qui sonde les thématiques de l’identité et creuse la question du dialogue entre danse rituelle et abstraction. Fruit d’une rencontre avec un groupe de danse folklorique nord-aveyronnais, sa dernière pièce Au cœur croisait les langages de la danse traditionnelle et de la danse contemporaine. Avec sa nouvelle pièce Figures, la danseuse et chorégraphe continue à charrier l’histoire et à interroger les danses anciennes mais cette fois-ci à travers un imaginaire intime, issue d’un héritage incertain. En quête d’une danse sans origine, ni culture, ni territoire, elle plonge ici dans son inconscient à la recherche d’un geste collectif et ancestral. Dans cet entretien, Dalila Belaza revient sur les rouages de son travail et sur le processus de création de Figures.
Vous avez créé votre compagnie de danse il y a deux ans. À quel moment avez-vous ressenti le besoin de déployer votre pratique de danseuse pour écrire vos propres spectacles ?
Je suis interprète dans la compagnie de Nacera Belaza, ma sœur, depuis le début. À ses cotés, j’ai aussi participé à l’émergence de ses pièces et de ses créations. J’ai écrit et interprété par exemple le solo Le Coeur et L’oubli qui fait parti du programme « Le Trait » que nous avions présenté à Avignon ainsi qu’un deuxième solo L’Appel, présenté également aux côtés de Nacera au Panthéon en 2017. Mes allers et retours entre ma pratique de danseuse et de chorégraphe ne datent donc pas d’hier ! Il n y a pas eu un déclic soudain qui m’aurait poussé de l’autre coté du plateau et à créer ma propre compagnie. Avec mon projet Au cœur, spectacle dans lequel j’ai collaboré avec un groupe de danse folklorique aveyronnaise, j’ai eu besoin de me plonger dans un processus de travail pendant presque trois ans pour faire des recherches et passer du temps avec les danseurs. J’avais envie de creuser cette rencontre et de questionner ma propre pratique de danseuse en dialogue avec ce groupe. C’était un projet d’envergure et j’ai donc du créer à ce moment-là une structure capable de l’accompagner : la compagnie Hiya est ainsi née.
Vous créez actuellement Figures, un solo dont vous êtes aussi l’interprète. Quel fil rouge se dessine entre vos différentes pièces, Au cœur, Rive et Figures ?
Dans mon spectacle Au cœur, je suis allée à la rencontre d’une danse folklorique d’Aveyron et l’ai faite dialoguer avec l’abstraction du plateau et de ma propre pratique. Cette rencontre à priori fortuite a mis à l’honneur le dialogue entre des mondes. Aujourd’hui, je réalise que je recherche le récit intime, mystérieux et immuable qui sommeille en nous. Ce qui parle de l’être dans un sens essentiel et qui peut rassembler. Je crée pour cela les conditions qui permettent d’ouvrir, de questionner l’intime ; comme pour en extraire une histoire des hommes réinventée. En 2021, j’ai été invitée par La Horde-Ballet National de Marseille pour donner un workshop aux danseurs et partager ces recherches. L’équipe m’a alors commandé une pièce, en écho à Au cœur, et cette invitation a continué à déplacer mon point de vue, à créer cet état d’ouverture et d’écoute que je cherche. Avec Rive, j’ai réuni 22 danseurs contemporains du Ballet et deux danseurs présents dans Au cœur, les plus âgés. Ils font un lever de rideau et bouclent le spectacle à la fin. Cette autre confrontation de mondes vient, elle aussi, créer une variation sur le même thème. Figures, né en filigrane depuis trois ans et en parallèle d’Au coeur et de Rive s’inscrit naturellement dans le sillon de cette recherche. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai vraiment le sentiment que ces trois pièces vivent dans un même temps et se complètent comme trois facettes d’une large question.
Quelle place prennent vos recherches sur les danses folkloriques et leurs origines dans ce nouveau solo ?
Figures c’est la plongée dans un inconscient, le mien. J’ai l’impression de laisser les choses advenir plus que de clairement les décider. La forme du solo convient parfaitement à ma démarche. Dans cette pièce, je continue à creuser les liens entre le folklorique et le contemporain, entre le langage ancestral et abstrait. Comment une danse traditionnelle semble aussi immuable quand on la regarde se déployer ? Au fond, on n’invente pas une danse traditionnelle. Elle nait puis elle perdure dans le temps et ce qui m’intéresse c’est justement comment et pourquoi. Avec Figures, je cherche une danse sans origine, ni culture, ni territoire, comme un glissement par rapport à Au cœur. D’ailleurs dans cette pièce, j’avais déjà cherché un premier glissement puisque les danseurs aveyronnais dialoguaient avec mon geste contemporain. Là, je vais encore plus loin dans cette abstraction : je ne veux plus de références à des traditions existantes, il n’y a plus de signes explicites sur le plateau même si je cherche encore à charrier l’histoire, non pas une histoire personnelle mais collective, ancestrale.
Comment avez-collaboré avec Jeanne Vicerial, designer textile ?
Quand j’ai découvert ses oeuvres, j’ai beaucoup aimé son travail de la matière et du noir. Au tout début, je lui ai demandé de fabriquer un plastron de couleur noire avec des aspérités pour habiller mon corps au service de ce récit venu de loin. Peu à peu, j’ai senti que je cherchais à faire apparaître une nébuleuse noire, une forme abstraite, ce que j’appelle maintenant le « personnage matière ». Ce n’est pas du tout une sculpture, il naît vraiment de la matière sans contours ni limites. Je recherche tellement l’abstraction que j’ai d’ailleurs demandé à Jeanne que l’on ne puisse pas identifier sa signature, que le vêtement soit justement sans « origine » claire, sans filiation artistique. Je ne souhaite pas le décrire car je veux vraiment que ce soit une rencontre inattendue entre le public et cette création. Je ne donne aucune image en amont d’ailleurs.
Est ce que vous prenez en charge toutes les dimensions artistiques de la création de Figures ?
Pour cette pièce, j’ai l’impression que tout sort de terre. C’est comme si Figures émergeait de manière très organique. Dans ce processus, j’ai besoin de créer les lumières et le son, c’est un langage commun même si je suis rejoint par des praticiens au cours des répétitions. Au fur et à mesure de l‘écriture de la partition chorégraphique, je conjugue le son et la lumière. Concernant la trame sonore, je n’ai pas eu envie de lui donner une seule tonalité. J’ai cherché un endroit d’équilibre pour ne pas qu’un son s’impose et domine. C’est un carrefour de multiples sources sonores qui tissent des liens de résonance entre l’ici et l’ailleurs, Je pense que cette trame sonore se vit et s’expérimente plus qu’elle ne se raconte. C’est une aventure solitaire mais nécessaire.
Pourquoi avoir choisi le titre Figures au pluriel ?
Quand la Briqueterie m’a invitée en 2021 pour présenter une première version de mon solo, je n’avais pas encore de titre. Ce mot s’est imposé étrangement sans que je puisse vraiment l’expliquer. Pour moi, il crée une distance et ne dit pas du tout de quoi ça parle. Sa polysémie et le choix du pluriel font qu’on ne sait pas si on va parler de figures géométriques, humaines, de danse… Comme le personnage matière, il a une multitude de facettes et reste un mystère. Le titre est resté depuis, tout comme les quinze minutes dansées qui sont aujourd’hui au cœur de l’écriture de Figures : c’est un bloc qui étonnamment perdure tel quel et trouve sa place dans la structure globale.
Conception, chorégraphie, interprétation, conception son et lumière Dalila Belaza. Création personnage Jeanne Vicérial. Photo © Tanja kernweiss.
Figures est présenté le 20 septembre à La Briqueterie dans le cadre du Festival Excentriques
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