Propos recueillis par François Maurisse & Wilson Le Personnic
Publié le 13 juillet 2018
Fort d’un long parcours qui l’a amené depuis l’Iran jusqu’au Portugal, puis en France, le danseur et chorégraphe Ali Moini s’est depuis quelques années largement illustré dans le paysage chorégraphique européen. Il revient ici sur ce parcours transfuge et tente de mettre en lumières les différentes problématiques en jeu dans le contexte chorégraphique iranien.
Vous avez suivi une formation en Iran avant de vous installer au Portugal, puis en France. Comment ce parcours s’est-il déroulé ?
J’ai étudié la musique en Iran lorsque j’étais adolescent avant d’entrer à l’Université de Soureh à Téhéran pour étudier le théâtre. J’ai découvert la danse contemporaine pendant la tournée européenne de Dance on Glasses du metteur en scène Amir Reza Koohestani (créée en 2001, ndlr). Lors d’un passage à Bonn en Allemagne en 2001, on nous a proposé à moi et mon collègue Mohammad Abbasi de participer à un atelier ouvert à tous, organisé par ITI Germany. Nous y avons rencontré la chorégraphe et danseuse Jullieta Figerroa, qui nous a ouvert les portes de la danse. A cette époque, nous ne savions rien de la danse, comme beaucoup d’autres personnes je pense. En iran, peut-être y avait-il des gens qui connaissaient Pina Bausch ou la danse moderne mais certainement pas la danse contemporaine. Lorsque nous avons joué au Tanzquartier à Vienne, nous avons également vu des spectacles. Le festival nous avait d’ailleurs offert No wind no words d’Helmut Ploebst qui est devenu une référence importante pour ma thèse à l’université. Si la traduction du livre était simple, un chapitre continuait à rester obscur : celui consacré à la composition en temps réel de Joao Fiadeiro. Lors d’une résidence à Paris quelques mois plus tard, je suis entré en contact avec lui, et il m’a parlé d’une formation de 2 ans, au Forum Dança à Lisbonne, où de nombreux chorégraphes donnaient des ateliers, avec qui je rêvais de travailler : Lisa Nelson, Jeremy Nelson, Deborah Hay, Julian Hamilton, Meg Stuart, Vera Mantero, Loïc Touzé, Emmanuelle Huynh… J’ai passé l’audition, j’ai été accepté et j’ai emménagé à Lisbonne. Pendant cette formation à Libsonne, j’ai découvert la formation Essai au CNDC Angers où j’ai ensuite postulé et été accepté.
Pour quelles raisons la France vous a-t-elle particulièrement attiré ?
Différentes raisons m’ont poussé à m’installer en France : le réseau que je me suis constitué, les personnes que j’ai rencontré, des gens qui m’ont généreusement aidé et aussi le fait que c’est peut être plus facile financièrement pour réaliser un projet que dans d’autres pays. La danse française n’est pas vraiment une question ou un centre d’attention pour moi. Mais ce que je vois autour de moi, c’est un large éventail de manières différentes de travailler, des gens ouverts qui essayent de pratiquer leur art de manière différente, de moins en moins technique, laissant de plus en plus de place aux idées ! Et j’ai le sentiment qu’il y a assez de place pour essayer et risquer des choses… Aujourd’hui, nous sommes bien moins forcés de suivre les modèles attendus et établis !
En France, nous parlons d’exception culturelle, mais en Iran, le système reste encore très contraint. Quelle place occupe le gouvernement iranien dans la création aujourd’hui ?
Il y a un centre d’art dramatique dépendant du ministère de la culture qui dirige et finance l’art de la performance en Iran. Même s’il y existe des institutions privées qui peuvent financer les œuvres d’art, la permission du centre d’art dramatique est toujours obligatoire si vous voulez montrer votre travail publiquement. En dehors de la scène underground, quand vous voulez concevoir une performance en Iran, que ce soit du théâtre ou toute autre forme d’art vivant, vous devez d’abord envoyer le texte – si c’est du théâtre textuel – ou l’intrigue – si ce n’est pas une oeuvre classique – au centre d’art dramatique. S’ils ne trouvent pas le texte ou l’intrigue problématique – étant en conflit avec la religion, ayant une approche sexuelle ou une préoccupation politique – vous pouvez obtenir trois réponses différentes : soit ils vous donnent la permission de travailler, soit ils peuvent vous demander d’apporter des modifications, ou ils peuvent rejeter votre proposition. Dans le cas où ils ont accepté que vous travailliez, avec ou sans quelques changements, quand votre pièce sera prête, ils viendront la voir pour décider s’il vous est possible de la montrer au public ou non.
Quelle place occupe la danse contemporaine en Iran aujourd’hui ?
Au moment où j’ai quitté l’Iran, peu de choses se passait dans le milieu de la danse contemporaine. Mais depuis, peu à peu, les artistes locaux ont commencé à s’intéresser de plus en plus à la création et à l’expérimentation, ce qui a permis l’émergence d’une scène underground très active. Pour ce qui de la danse « conventionnelle », les projets sont soumis au même règlement que le théâtre. La danse est officiellement interdite dans les espaces publics, car elle est en conflit avec la charia. Les pièces ne sont donc pas officiellement présentées comme des spectacles chorégraphiques, mais plutôt comme du théâtre ou du “théâtre physique”… Cependant,, il y a quelques années, de grands chorégraphes ont présenté leurs pièces dans deux grands festivals en Iran : Julyen Hamilton et Jérôme Bel, ce qui est rare ! Et je n’ai aucune idée de comment les directeurs de festivals et les programmeurs y sont arrivé !
Et pour la danse underground ?
Dans l’underground, l’histoire est différente. On peut assister à des travaux qui ne pourraient pas être présentés dans le circuit de diffusion officiel. Des pièces de jeunes chorégraphes iraniens qui travaillent sans aides financières, ou d’artistes étrangers venus jouer dans ces scènes underground avec les aides de différentes institutions européennes… Cela se produit principalement dans un festival appelé Untimely qui est organisé par le ICCD – The Invisible Center of Contemporary Dance, à Téhéran – organisme créé en 2010 par mon ami Mohammad Abbasi.
Vous est-il arrivé de montrer vos pièces pendant ce festival ?
Malheureusement non, je n’ai jamais eu l’occasion de jouer en Iran les pièces que j’ai créées en Europe. Principalement parce que mes pièces ne pourraient être jouées sans aucune modification et je ne veux pas modifier ou censurer mon travail, que ce soit pour jouer en Iran ou ailleurs. Mais depuis que j’ai quitté l’Iran, j’y suis retourné pour faire quelques installations-performances. Le public iranien est toujours très curieux et ils ont toujours réagi très généreusement à mes propositions. A Téhéran, il y a une vrai communauté intéressée par la performance. Une fois qu’une forme a reçu les autorisations pour pouvoir être diffusée, il n’est pas rare de la voir programmée sur des séries plus de trente dates. C’est incroyable non ? Et c’est souvent joué à guichets fermés !
Vos créations semblent être intrinsèquement liées à des questions politiques, de façon plus ou moins revendiquée. Considérez-vous l’acte de danser comme un acte politique ?
Je n’envisage pas forcément mon propre travail comme vous venez de le définir, mais je ne suis pas tout à fait contre non plus. Ce que vous avez mentionné est peut-être ce que vous voulez percevoir de mes œuvres ? Pensez-vous que vous avez perçu mes pièces de cette manière parce que je viens d’une zone géographique spécifique ? Je ne suis pas responsable de la réception de mon travail. Ce que je sais, c’est que je ne me considère pas comme un artiste dont le travail est basé sur la politique, mais ça ne veut pas dire que je n’ai pas de point de vue politique. Dans mes œuvres, je ne cherche pas à améliorer ou à aggraver les choses – comme c’est souvent le cas, il me semble, dans le cadre d’un art qui revendique sa portée politique. Je cherche surtout à rester dans une optique d’apprentissage quand je travaille. Mes pièces sont à chaque fois une combinaison de plusieurs oeuvres, car je suis moi-même un assemblage de chairs et de pensées. Je ne limite pas la danse au simple fait d’être un acte politique. La danse ou toute autre pratique artistique est en réalité beaucoup plus complexe et vaste qu’une simple revendication politique.
Photo © Yann Gibert
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