Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 8 mars 2018
Spécialisé dans les danses baroques, le danseur et chorégraphe Bruno Benne réinvente et réactualise cette écriture codifiée à travers une approche plus contemporaine. Créée en 2016, sa pièce Square réunit quatre danseurs et quatre musiciens baroques autour d’une composition musicale minimaliste pour instruments anciens de Youri Bessières. Bruno Benne a accepté de revenir sur sa pratique de la danse baroque et sur les enjeux de cette création.
Vous avez suivi une formation en danse contemporaine au Conservatoire National Supérieur de Paris. Comment avez-vous découvert l’univers de la danse baroque et comment a-t-elle « éveillé votre curiosité » ?
Tout à fait, j’ai un bagage de danse classique et contemporaine. La danse baroque n’est apparue dans mon univers qu’en tant que professionnel. C’est en dansant pour des chorégraphes de danse contemporaine, Blanca Li et Lionel Hoche, dans des opéras baroques à l’Opéra de Paris et à l’Opéra de Lyon, que j’ai découvert la musique baroque dans ce qu’elle a de plus spectaculaire. Une musique qui met aussi bien en scène un univers autant pastoral que passionnel avec des scènes de bergers, des personnages nobles ou issus de la comédie mais aussi des orages, des tempêtes, des tremblements de terre… Ce n’est qu’ensuite que je suis allé à la recherche de ce qu’était la danse de cette époque lors d’un stage avec Béatrice Massin puis en participant à l’Académie Européenne d’Ambronay avec Marie-Geneviève Massé.
Quels sont les enjeux aujourd’hui de faire « dériver » l’écriture baroque vers des formes plus contemporaines ?
La danse baroque est construite sur l’idée du danseur qui trace, seul ou à plusieurs, des figures dans l’espace. Des pas de danses viennent ponctuer ce chemin en créant une rythmicité en lien étroit avec la partition musicale. C’est à l’époque baroque que la danse prend son autonomie par rapport à la musique, par la volonté de Louis XIV qui crée en 1661 l’Académie Royale de Danse. Jusque là, les danseurs et musiciens étaient les mêmes personnes, d’où la grande musicalité de cette danse, son écriture venant s’adjoindre à celle de la musique pour former une même entité. Le corps baroque, avec ses volumes et spirales, sorti du contexte historique, c’est-à-dire dénué du costume, apparaît comme un corps très contemporain dans son côté pur et minimaliste. L’enjeu est pour moi d’écrire une nouvelle partie de son histoire aujourd’hui plutôt que d’essayer de refaire exactement ce qui a existé à l’époque.
Avec la compagnie Beaux-Champs – création baroque, vous avez déjà composé une série de pièces mettant en scène danse et musique vivante. Retrouve-t-on des analogies entre ces différentes créations ?
Chaque création a ses modes et ses méthodes. Cependant, je me rends compte qu’il y a une certaine organisation temporelle du travail : l’idée, l’écriture du concept, le choix des collaborateurs, les essais de recherches en studio, le choix musical (répertoire ou création), l’enregistrement d’une bande musicale de travail, la création de la chorégraphie, les répétitions tutti (danseurs et musiciens), les lumières et finalement la création. Comme fil rouge, on retrouve toujours l’intime relation entre les écritures musicales et chorégraphiques ainsi qu’une solide architecture spatiale.
Pour Square, vous avez collaboré avec des danseurs « spécialistes de danse baroque ». Etait-ce un pré-requis indispensable ?
En effet, l’équipe de Square connaissait déjà les principes chorégraphiques baroques, cela permettait d’aller plus vite et plus loin dans la composition. Nous parlions tous le même langage et avions des préoccupations communes. Mais, dans l’équipe il y a des niveaux différents de spécialisation baroque. L’important pour moi était que nous ayons tous une même base mais surtout une façon contemporaine d’aborder le mouvement. Des ateliers, des cours et des temps de composition ont permis d’unifier nos façons de danser, de trouver la précision et la fluidité que je souhaitais pour Square.
Comment avez-vous composé la chorégraphie de Square ? Quelle place avez vous laissé aux interprètes lors du processus de création ?
La chorégraphie s’est composée en deux temps bien distincts. Il y a eu d’abord un travail important d’appropriation de la musique et le choix des concepts par Adeline Lerme et moi-même lors de plusieurs résidences. Puis nous avons retrouvé l’intégralité de l’équipe pour composer à partir des matériaux existants et d’autres nouveaux que nous avons créés ensemble. Le travail sur la vidéo et à partir de la notation Laban de l’espace par mon assistante Estelle Corbière permettait d’avoir une vision plus globale de l’écriture étant à la fois chorégraphe et interprète de la pièce.
Il y a quatre musiciens baroques sur le plateau. En quoi leur présence est-elle fondamentale à vos yeux ?
Le fait d’avoir les musiciens en direct avec nous intensifie le lien entre la danse et la musique. C’est une des spécificités du travail baroque qui motive et change ma façon de danser. Nous dialoguons ensemble de façon récurrente à propos du choix de tempi mais surtout d’humeurs et de caractères afin que danse et musique s’appuient l’une sur l’autre pour faire émerger des élans communs et jubilatoires. Le choix de travailler avec des musiciens baroques est une des contraintes que j’ai imposées au compositeur. Cela me permettait de poursuivre ma collaboration avec l’équipe musicale de la compagnie Beaux-Champs mais surtout d’avoir un son baroque et un traitement de la composition musicale spécifique se rapprochant du traitement chorégraphique.
Youri Bessières signe la composition musicale de Square. Comment cette collaboration s’est-t-elle précisément déroulée ?
Square est ma première collaboration avec Youri, celle de la rencontre qui fera place ensuite à la création d’Ornements (2016) puis de Caractères (2019). Youri et moi avons commencé notre travail en discutant autour de cafés, en allant voir des spectacles et en studio lors de résidences de recherches. Je dansais sur sa musique, je l’enregistrais et le faisais lui aussi bouger sur sa musique pour qu’il puisse saisir les placements de mes appuis. Ensuite on s’est mis d’accord sur une trame musicale en quatre parties bien distinctes, chacune avec un rythme différent. Youri a écrit les matières musicales et nous les avons organisées ensemble avant l’écriture des chorégraphies. Le plus gros challenge a été de chorégraphier sur la pièce « Onze » dont le phrasé en onze temps (ou deux fois cinq et demi) n’était pas du tout organique au départ ni pour les danseurs ni pour les musiciens baroques…
Sur le plateau, des carrés de pelouse font échos aux « plans des jardins à la française ». Quels sont les enjeux de contextualiser la danse dans cet espace ?
La scénographie est née de mon envie de déplacer l’espace de la danse baroque, de casser la symétrie et d’inclure les musiciens sur scène. L’élévation induite par les praticables pelousés donnent aussi une dimension aérienne aux danseurs et créé paradoxalement un manque d’espace au début de la pièce. Espace qui sera ensuite totalement investi et spécifiquement choisi pour chaque section.
Pourquoi avoir invité la chorégraphe Lucinda Childs sur ce projet ? À quel moment du processus est-elle intervenue ?
J’ai rencontré Lucinda Childs lors d’une masterclass aux Ateliers de Paris puis elle m’a invité à collaborer sur l’un de ses projets, l’écriture des chorégraphies d’un opéra baroque. Lorsque l’idée de Square s’est concrétisée, je lui ai proposé de poursuivre notre collaboration pour mieux comprendre et m’approprier ses modes de composition. Elle est intervenue à la fin du processus d’écriture de la chorégraphie en agençant des matières que nous lui avions proposées pour la partie centrale de la première section, une partie d’environ cinq minutes que nous appelons « la partie Lucinda » !
Conception et chorégraphie Bruno Benne. Collaboration artistique Lucinda Childs. Conception et création musicale Youri Bessières. Direction musicale Olivier Briand. Création lumière Thierry Charlier. Costumes Pascal Pinet. Photo © François Stemmer.
Le 6 avril 2018, Square, au Théâtre Paul Eluard à Bezons
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