Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 19 septembre 2014
Chorégraphe iconoclaste, le québécois Frederick Gravel collabore avec différents artistes aux pratiques multiples et bouscule les codes de la danse et de la performance. Frederick Gravel créé les pièces Gravel Works, Tout se pète la gueule et Usually Beauty Fails toutes présentées en France et en Europe. Pour la première fois, le Théâtre de la Bastille invite le chorégraphe à présenter Usually Beauty Fails et sa nouvelle pièce Ainsi Parlait, en collaboration avec l’auteur Étienne Lepage.
Usually Beauty Fails a été présenté aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis en 2013 avec une distribution différente de celle du Théâtre de la Bastille. Le spectacle a-t-il changé depuis ?
Oui ça bouge toujours, c’est un projet un peu ouvert, toujours en recherche, même si la forme générale est bien arrêtée. C’est à l’intérieur de la chose que ça bouge. Et quand il y a des nouveaux performeurs ça nous donne la chance d’apprendre sur ce qui est important de garder et ce qui peut bouger. Cette fois, on a un nouveau casting de musicien, donc on a revisité les arrangements. Ce n’est pas tout le monde qui sait jouer les mêmes choses, et c’est la même chose pour les danseurs, personne ne remplace exactement un autre. On trouve la pièce qui va avec le nouveau casting, on se passe des partitions dansées un à l’autre pour équilibrer les présences sur scène de chacun et garder le truc vivant.
Vous présentez pour la première fois à Paris Ainsi Parlait, conçu en collaboration avec Etienne Lepage. Quels sont les enjeux pour un « chorégraphe » de s’associer avec un « auteur » dans la création d’une pièce ?
Premièrement, c’est vraiment agréable de partager une recherche comme on l’a fait. On a pris beaucoup de temps parce qu’on ne voulait pas que ce soit le projet de l’un qui invite l’autre, on voulait vraiment que ce soit un projet à deux. Et cela nous a pris un bout de temps pour apprendre à travailler ensemble, à se laisser de l’espace. L’enjeu était de ne pas faire un spectacle de danse qui parle, ou un spectacle de théâtre qui bouge. Mais seulement de faire un objet qui ne pourrait se passer ni d’un texte ni d’une partition bougée.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
On s’est laissé de la place, en laissant chacun essayer des choses, il fallait attendre avant d’intervenir, attendre de voir si quelque chose faisait sens pour nous deux. Ce qui ne faisait pas sens pour nous deux, on le laissait tomber. Étienne avait des textes, et on a expérimenté avec ceux-ci. On a fait une première étape de recherche, on a montré ça, et là on a bien vu qu’on avait de quoi faire un show.
Quels sont les enjeux de présenter successivement ces deux pièces à Paris ?
Je trouve ça motivant, de faire un petit spécial autour de mes recherches dans le même théâtre. Ça me donne l’occasion de montrer que la recherche peut aller dans pas mal de directions, ou que le spectre en est large. Aussi, ce sont deux approches différentes. Usually Beauty Fails, c’est vraiment l’approche du Grouped’ArtGravelArtGroup, c’est à dire que c’est très collectif, et je suis sur scène avec la bande, c’est aussi très musical. Pour Ainsi Parlait, ça reste assez collectif, mais plus en duo qu’en bande, et ce n’est pas un casting avec les collaborateurs habituels, la musique y est enregistrée, et je n’y suis pas. C’est une autre ambiance, un autre genre d’écoute, et clairement un autre propos.
Malgré une scène chorégraphique prolifique, le milieu de la danse au Québec semble pâtir d’une crise économique et politique depuis plusieurs mois qui se confirme par la disparité des moyens engagés dans la production et la diffusion des spectacles. (Je pense notamment aux différents propos du chorégraphe Dave St-Pierre et à l’annulation de plusieurs spectacles par manque de moyen). Pourriez-vous nous éclairer sur ce qui se passe au Québec ?
Je crois que la crise fait que c’est plus difficile de tourner partout dans le monde, tout est plus fragile. Tout le monde a plutôt peur de perdre son emploi…. Et en art, quand tu perds ton gout de risquer, tu perds beaucoup. Dans le milieu de la danse au Québec présentement, il se passe quelque chose de bien mais de compliqué. Il y a une nouvelle garde intéressante, qui ne cadre pas facilement dans les habitudes des structures établies. Il y a davantage de mélange de disciplines, de nouvelles façons de produire, et les bailleurs de fond ne suivent pas toujours la cadence. Il y a beaucoup de structures déjà en place, mais elles ne s’adaptent pas aussi vite que la pratique, donc parfois elles semblent obsolètes. C’est un brin dommage parce qu’il y a une belle vague qui grimpe présentement.
Frédérick Gravel au Théâtre de la Bastille à Paris
Usually Beauty Fails, du 7 au 11 octobre 2014
Ainsi parlait…, du 13 au 18 octobre 2014
Photo Francis Ducharme
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