Propos recueillis par Marika Rizzi
Publié le 15 janvier 2021
Avec sa dernière création le chorégraphe Pierre Pontvianne poursuit les directions qui sont chères à son art : sobre, incisive, rigoureuse, Percut se place dans une continuité esthétique propre au travail du chorégraphe et creuse davantage le sillon de radicalité que les pièces précédentes avaient déjà commencé à tracer. Dans cet entretien, Pierre Pontvianne partage les rouages de sa recherche artistique et comment le contexte actuel a influencé le processus de travail de sa nouvelle création Percut.
Comment débute le travail en studio lors d’une nouvelle création ?
Je commence toujours par dire aux danseurs avec un peu de dérision « c’est un échec ». J’ai toujours plein de rêves en amont des premières répétitions et je sais pertinemment qu’ils ne pourront pas tous se réaliser. Ce constat me met face à une question très concrète : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? ». C’est vrai qu’au début on se regarde un peu dans le blanc des yeux. Puis doucement émergent des petits riens qui s’ajoutent et s’articulent les uns aux autres. C’est comme un immense terrain vague… on désherbe, on retourne la terre, on prépare un environnement dans lequel une nature poussera plus tard. Je peux dire que je ne commence pas vraiment par de la recherche, mais plutôt par une phase d’incertitude, jusqu’au moment où il y a un soulèvement d’évidence. Et là, ça se corse !
De quelle manière cette évidence surgit-elle ?
Souvent c’est la collision entre ce qui se passe dans le studio et un événement dans le monde qui me trouble. Un petit hasard qui pourrait presque passer inaperçu, qui me pique et que je ne le lâche pas. Pendant la création de Percut, il y a eu les épisodes de Black Lives Matter, les violences policières, la loi de sécurité globale et puis… Trump. Ces événements extérieurs me mènent toujours à questionner la place de la danse que je considère comme extra-ordinaire, mais qui, selon les tensions qui m’habitent peut être repoussée, loin, acculée à une forme de survie. Parfois, il faut qu’elle apparaisse dans sa forme la plus conventionnelle. Ou bien, elle doit aussi parfois exister dans sa forme la plus inattendue, parce que c’est nécessaire, pour le sens, pour ce qui est dit.
J’imagine donc que la situation actuelle a influencé la création de Percut ? Comment ce contexte a-t-il nourri vos réflexions pour mettre en marche ce projet chorégraphique ?
Je parle souvent d’« être en réaction avec le réel ». Pour le dire plus simplement, je suis toujours sensible à ce qui se produit dans notre actualité. Donc oui, je ne peux pas nier que le contexte actuel a nourri quelque chose dans Percut. Ceci dit, je ne l’ai pas spécialement thématisé et je n’en ai pas fait l’objet de la pièce. Je crois que je me suis même méfié de cela. Ce qui est présent au cœur de Percut était là avant la pandémie, depuis longtemps : une colère envers les pouvoirs politiques, économiques et capitalistes, les disparités, les clivages et les injustices qui en découlent, qui sont aujourd’hui de plus en plus criantes. La colère est partout, prête à éclater. La pandémie pour moi n’a fait qu’accentuer ces états de fait. Pour en revenir à la création, Percut, à l’évidence, porte cette colère.
Pouvez-vous revenir sur le processus en studio avec les danseurs ?
Au début, nous avons travaillé sur la notion de réflexe, en essayant différentes manières de faire surgir un geste toutes les trois secondes. Plus tard dans le processus, la notion de chœur est apparue, avec l’exigence de faire le même geste simultanément, d’être en réaction « ensemble ». Avec ce principe, toute une série de matières se sont simplement « éradiquées d’elles-mêmes », parce qu’elles ne pouvaient pas émerger. De fait, je peux dire que ce qui reste au plateau est ce qui survit. Le cri s’est alors imposé comme le dernier déploiement possible. C’est du même ordre qu’un mouvement qui sort, qui va au-delà du corps. Toutes ces contraintes m’ont amené à réfléchir ainsi : « Si quelque chose me bloque, si je ne peux plus avancer, si on m’empêche de bouger je vais crier, je ne vais pas me mettre à danser ». Unis dans le cri a été mon fil conducteur.
Cette notion de « collectif » était déjà présente dans vos précédents projets. Il y a une forme de symbolique très forte dans cette communion, de faire se rejoindre les altérités. A quoi répondait cette envie de « chœur » dans Percut ?
L’envie d’être en chœur et à l’unisson avait en effet déjà émergé dans des projets précédents. Elle induit autant la question du collectif que celle de l’individu. Lorsque je regarde un groupe d’individus, plus les gens sont différents et singuliers, plus je trouve cette disparité rassurante. Dans cette mixité, les strates communes apparaissent, elles sont précieuses. Faire un pas ensemble, en même temps, devient presque un art. On peut passer sa vie à essayer de faire un pas ensemble. C’est une histoire d’harmonie, on tente l’unisson mais nous serons toujours dans des accords.
Comment travaillez-vous l’écriture de la chorégraphie : seul, sur papier, ou en studio avec les interprètes ? La précision de votre écriture doit demander un temps très long pour la stabiliser.
Je travaille toujours en aller-retour avec les interprètes. Il y a ce que je leur donne et ce qu’ils me donnent : certaines choses se comprennent de l’extérieur, d’autres de l’intérieur. Encore une fois le mot nature me vient à l’esprit pour parler de ce qui se compose. Cette nature, on peut à la fois l’analyser et la laisser se développer, selon sa propre logique. Mon rôle est d’entendre ces logiques sans forcément déposer une règle ou une science en amont, c’est juste une façon de voir les choses. Après vient le travail de mémorisation des partitions, qui sont par ailleurs très complexes. C’est à ce moment-là que le travail des interprètes avance au premier plan. Chaque pièce a son vocabulaire avec ses codes d’écriture et une nouvelle manière de composer. J’aime l’idée que l’interprète est occupé à quelque chose qui est très loin de ce qu’on est en train de vivre au plateau. Lorsque cette partition finit par s’intégrer dans le corps, la trace, l’œuvre, reposent alors sur le jeu de l’interprète.
J’imagine que des choix doivent quand même s’opérer au sein de cette « nature qui développe sa propre logique » ?
Je ne pense jamais que je fais des choix, je me dis que je tranche. Trancher me semble nécessaire. Des fois, il s’agit simplement de la composition générale de la pièce : ne pas perdre un fil qu’il faudra reprendre et tirer plus tard. Lorsqu’on est au cœur de la fabrication d’une œuvre chorégraphique, on sait toujours comment les partitions se déploient et les séquences qui vont suivre, on n’a donc pas du tout la même perception du temps qu’un regard vierge qui découvre le travail. Cette donnée demande constamment de prendre en considération le temps de la découverte, pour être capable de sentir s’il faut tendre ou détendre certains passages. Ce n’est pas de l’ordre de la magie. Parfois je pense à mon père qui était mécanicien et qui cherchait à trouver d’où venait une panne, puis des anciens lui disaient : « mets un grand coup de marteau dans le moteur, ça repartira ». Coup de génie ou coup de marteau ?
Au début de l’entretien vous disiez toujours passer par « une première phase d’incertitude » lors de vos processus de création, jusqu’au moment où votre recherche se stabilise par un « soulèvement d’évidence ». Vous appréhendez la création sans projeter aucun désir ?
J’ai tendance à me méfier de ce que je désire. J’ai besoin que les choses passent à travers le filtre de la nécessité. Le désir s’inscrit dans l’instant mais pas dans le temps… Il m’arrive de rentrer dans des processus de détachement où je fais tout pour m’éloigner de ce qui m’attire. Je me mets à un endroit de « laisser venir » et j’essaie de travailler la spécificité de ce qui se passe. À un moment donné, c’est l’objet qui me dicte ce dont il a besoin. Peut être que je suis plus un transcripteur qu’un auteur.
Percut, Chorégraphie Pierre Pontvianne. Interprétation Jazz Barbé, Laura Frigato, Paul Girard, Florence Girardon, Clément Olivier, Léna Pinon-Lang. Conception sonore Pierre Pontvianne. Production Emilie Tournaire. Lumière Valérie Colas. Décor Pierre Treille. Photo © Pierre Grasset.
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