Par Maëva Lamolière
Publié le 26 novembre 2018
En mars 2018 Hideto Iwaï presentait Le Hikikomori sort de chez lui, spectacle chargé d’une dimension autobiographique à la maison de la culture du Japon. Il revient aujourd’hui en France avec Wareware no moromoro (Nos histoires…), pièce réunissant des habitants de Gennevilliers et des comédien-ne.s professionnel-le.s et composée à partir de leurs récits de vie.
Sur le plateau, des chaises, un lit, une table, un escabeau, des coussins, des draps et une immense structure en bois en forme de charpente crée des espaces et laisse apparaître des vides. Les objets sont réinventés : un balai devient une guitare, deux tables superposées un kiosque à journaux, le lit se transforme en divan de psychanalyste, la table et ses chaises en une voiture, l’ouverture d’un coussin symbolise un acte sexuel etc. Il n y a jamais d’images fixes, tout glisse et se transforme continuellement. Un hors-champ existe bel et bien, ainsi que des contrepoints et des lignes de fuite. Les présences à vue de la musicienne et de la costumière peuvent apparaitre comme des métaphores à ce spectacle : le dévoilement. Si les interprètes livrent des récits de vie intimes, Hideto Iwaï expose quant à lui les rouages de son spectacle. C’est audacieux, ingénieux et le poids des histoires racontées est ainsi toujours contrebalancé par un ailleurs, par une figure, une allégorie.
Paroles, échanges, collectes, mises en récits… le spectacle revêt une forme quasi anthropologique. Les récits de vie se croisent, les prises de paroles se succèdent, se superposent, s’entremêlent. L’enfance, les traumatismes subis, la famille, les amours, la violence, le travail, les désillusions, l’immigration, le racisme, autant de thèmes intimes sont ici abordés avec puissance et fragilité, livrés aux spectateurs. Ce spectacle parle des identités, des constructions personnelles, des multiples réalités qui se croisent pendant plus de deux heures dans un même espace temps. Les interprètes jouent leurs propres rôles mais endossent parfois les costumes de personnes appartenant à l’histoire de quelqu’un d’autre, sans assignation genrée, ni cohérence dans les âges : Mathieu, devient la petite sœur de Marion, Abdallah, homme d’un certain âge, joue le rôle d’un bébé, pouce dans la bouche, Marion, jeune trentenaire, se transforme en la mère de Salima. Ce principe de jeux de rôle permet une prise de distance face à des propos parfois tragiques, des scènes parfois violentes. Drame, poésie et absurde se frottent, se font écho. Les genres sont brouillés et la limite entre fiction et autobiographie est floue, même s’il paraît évident que les interprètes racontent et mettent en scènes leurs propres expériences. L’entreprise de réunir des professionnel-le.s et des amateur-rice.s pour un projet de si grande envergure pouvait paraître risqué mais un groupe soudé, une communauté solidaire émerge et cette réunion vient nourrir l’idée d’un spectacle-documentaire, d’un spectacle-portrait où chacun.e se dévoile avec pudeur et affirmation, avec émotion et maladresse.
Si les récits et la scénographie sont fermement ancrés dans le réel, l’utilisation et la réinvention des objets, les moments quasi-chorégraphiques et charnels portés par Marion, la présence physique des interprètes, font glisser le spectacle vers le symbolique. Mathieu est d’ailleurs hanté par les fantômes et il est souvent question de l’absence, de ce qu’on ne peut pas, ou de ce que l’on n’a pas pu voir. Le temps de ces histoires de vie entraîne parfois quelques longueurs, quelques transitions ou réglages techniques sont encore un peu fragiles … mais l’émotion, l’honnêteté des présences et des récits, les territoires ainsi recréés, les questions politiques exposées, les temps multiples à l’œuvre génèrent de l’émotion… et du rire !
Vu au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne à Paris / Japonismes 2018. Conception et mise en scène, Hideto Iwaï. Avec Marion Barché, Salima Boutebal, Loïc Carcassès (avec la participation artistique du Studio-ESCA), Aurélien Estager, Lucienne Larue, Michel Larue, Mathieu Montanier, Abdallah Moubine. Collaboratrice artistique à la mise en scène, Aïko Harima. Scénographie et costumes, Kie Yamamoto. Photo © Mammar Benranou.