Par Céline Gauthier
Publié le 23 novembre 2018
Avec Les Vagues, le chorégraphe Noé Soulier poursuit son exploration des potentialités expérientielles suscités par l’exécution d’une partition gestuelle. La pièce, nourrie par des matrices conceptuelles complexes, cherche à mettre en lumière les ramifications mémorielles qui conduisent le spectateur à identifier les réminiscences corporelles des mouvements dansés.
Pour ce faire, Soulier développe des séquences restreintes à quelques gestes, que les six danseurs répètent jusqu’à l’épuisement pendant plus d’une heure. L’apparition de chaque mouvement semble réglée par l’alternance minutée entre flux et ressac, entrecoupés d’impulsions brusques comme des décharges électriques, dont l’intensité toujours égale provoque des réactions invariablement similaires : des ronds de jambe en l’air, la hanche en dedans et le genou fléchi ; des appuis sur les mains, les jambes levées ; un mouvement de torsion du buste prolongé par une extension de la paume.
L’exécution minutieuse de ces gestes prend place dans une composition rigoureuse, où l’absence d’unisson se double d’effets d’échos et de contrepoints, de sorte que l’espace du plateau – aussi structuré par des jeux d’ombres et de lumières – paraît en perpétuelle recomposition. L’effet visuel qui en résulte demeure assez plaisant, pour une danse lisse et propre sertie dans le camaïeu de bleus et de gris des costumes des danseurs.
Les deux musiciens, en bordure de scène, observent attentivement les danseurs et accompagnent ou dissocient aléatoirement les sonorités boisées et métalliques qu’ils produisent des gestes des interprètes. Souvent vive et grinçante, parfois jusqu’au larsen, ils proposent parfois un vrombissement étouffé qui souligne la courbe élastique d’un profond cambré, comme pour évoquer la transmutation sonore d’un imaginaire gestuel. Ailleurs, un lourd silence rend audible la respiration artificiellement forcée des danseurs. Leurs mouvements ne semblent ainsi nullement suscités par l’expression d’une dynamique intérieure et demeurent figés dans l’application d’un exercice figural et formel. Un duo très gymnique en fournit la pénible illustration, dans lequel les deux interprètes ne parviendront jamais à mettre en partage l’esquisse d’une contagion gravitaire.
À cette épure gestuelle se mêle la récitation de quelques extraits de la nouvelle de Virginia Woolf qui donne son titre à la pièce. Conçue comme une rupture de la constance énergétique de la danse, la diction s’accompagne quelquefois d’une tentative de désignation et de monstration des possibilités de torsions de toutes les articulations du danseur : ce dernier mesure chacun de ses segments corporels du bout des doigts, les étire et met en tension l’espace des cavités articulaires, avant de s’élancer de nouveau dans l’exécution de la partition commune.
La tentative de Soulier de mettre à nu les schèmes fondateurs du mouvement résulte d’une entreprise de décontextualisation des intentions motrices qui les produisent et se présente sous la forme d’une dissociation marquée entre impulsion et exécution du geste. C’est sans doute la raison pour laquelle Les Vagues apparaissent particulièrement décousues et semblent révoquer la cohérence signifiante et expressive du mouvement humain. Si l’on peut y voir l’influence latente chez le chorégraphe des expérimentations de la post-modernité, on s’interroge sur la pertinence de présenter ce format spectaculaire sur des scènes aujourd’hui acquises à des expérimentations bien plus radicales.
Vu à Chaillot dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Chorégraphie Noé Soulier. Avec Stéphanie Amurao, Lucas Bassereau, Meleat Frederikson, Yumiko Funaya, Anna Massoni et Nans Pierson. Musique Noé Soulier avec Tom De Cock et Gerrit Nulens (Ensemble Ictus). Lumières Victor Burel. Photo © Jose Caldeira.