Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 11 mars 2015
Qu’ils officient en solo ou duo, Jonathan Drillet et Marlène Saldana, alias The United Patriotic Squadrons of Blessed Diana, rayonnent de par leurs présences et ne passent jamais inaperçu. Cette saison, le premier, Jonathan Drillet, officie au coté de Jonathan Capdveille dans Saga, la seconde, Marlène Saldana, est interprète dans Manger du chorégraphe Boris Charmatz et participe à la prochaine création du Zerep : Biopigs. En duo, vous les avez peut-être également vu dans Du futur nous ferons table rase du plasticien Théo Mercier. Si si, rappelez vous, les deux aristocrates grimés qui mangeaient du fromage : c’était bien eux ! Dans la peau d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, Jonathan Drillet et Marlène Saldana présentent leur dernière création Fuyons sous la spirale de l’escalier profond les 31 mars et 1er avril à la Ménagerie de verre dans le cadre du festival Étrange Cargo.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de Fuyons sous la spirale de l’escalier profond ?
En novembre 2012, nous avons été invités par le Frac Ile de France – Le Plateau à présenter un format court de trente minutes, dans le cadre de l’exposition de l’artiste plasticien Michel Blazy. Lorsque nous avons visité son installation pour la première fois – Circuit fermé, une pièce de vingt mètres carrés où étaient élevés des moustiques – il y en avait une autre à côté : un endroit où les visiteurs étaient invités à se presser une orange puis à la déposer sur des piles d’autres oranges en décomposition, il y en avait plein la pièce, des centaines, et nous avons tout de suite pensé à la place Djemma El Fna. Et si cette pièce devenait pour nous la place Djemma El Fna, alors Circuit fermé serait la Villa Majorelle, la maison d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé à Marrakech. Nous n’avions jamais pensé à nous intéresser à ces figures en particulier mais en les approchant nous nous sommes passionnés de questions liées à la création, qu’est ce que le goût, qu’est ce qu’un artiste, à la mort, l’amour et le temps qui passent, quelque chose de très romantique en somme. Marie-Thérèse Allier nous a ensuite proposé de créer un spectacle pour l’édition 2013 des Inaccoutumés, et nous avons décidé de poursuivre ce travail.
Comment travaillez-vous ensemble ?
Interprètes ou collaborateurs de metteurs en scène et de chorégraphes, nous écrivons et mettons en scène nos propres spectacles depuis 2008. A deux nous avons trouvé un équilibre, un dialogue riche et créatif, avec chacun ses spécialités, ses envies, ses obsessions : pour l’une c’est l’opéra, la musique, le ballet, l’image ; pour l’autre la littérature, les textes, la dramaturgie. Le point commun de toutes nos créations scéniques est donc l’écriture d’un texte en amont, pour laquelle nous procédons de manière à la fois journalistique et poétique : grace à des recherches littéraires, documentaires, approchant parfois de techniques d’investigation (terrain, rencontres, interviews), accumulant ainsi des masses considérables de documents de natures et de genres très éclectiques, nous construisons des textes prenant appui sur une forme de cut-up et proposant ainsi une lecture horizontale et rhizomique. Grace au moteur même de ce mode de lecture, la projection et le fantasme, qui seraient les garanties premières de l’objectivité face à un monde médiatisé, nous écrivons notre propre fiction à partir des éléments melés de cette réalité éclatée. Lors de nos recherches préparatoires, tout est littérature, tout peut faire théâtre, tout est langage théatral, et la construction de nos pièces passe par la citation, le collage, le pastiche, l’hommage, la copie, dans l’écriture comme dans la mise en scène.
Nous nous considérons comme à mi-chemin entre l’auteur de théatre et le créateur de spectacle. Nos productions ne sont pas, comme chez Musset, du théatre dans un fauteuil, mais plutôt des carnets de mises en scène, des préparations de mises en scène, un peu à la manière de John Cage préparant ses pianos, composant une partition éclectique et précise à partir de matériaux hétérogènes et d’agencements particuliers. Pendant ce temps de préparation, de conception, où tout est possible sur le papier, nous ne nous interdisons rien a priori et nous visons donc l’écriture d’un projet global, l’élaboration de partitions spectaculaires.
Cette méthode de travail est aussi une manière pour nous de nous adapter à l’économie du spectacle aujourd’hui en tant que jeunes auteurs-metteurs en scène de théâtre contemporain : nous ne montons pas de textes classiques et nos productions sont multidisciplinaires, ce qui nous place dans une économie assez fragile. Les budgets de production nous sont alloués au coup par coup (producteurs uniques, festivals ou théâtres) et les périodes de création au plateau sont assez courtes, ce qui nous oblige à tout écrire en amont : texte, mise en scène, lumières, son, scénographie, costumes, maquillages… Nous n’avons pas ce qu’on appelle une écriture de plateau, juste quelques corrections tout au plus. C’est pourquoi nous aimons travailler avec une équipe de collaborateurs proches : en ce qui concerne les interprètes, bien les connaitre nous permet de penser leur rôle presque sur-mesure ; en ce qui concerne les créateurs lumière ou son, la préparation leur permet de s’adapter à des implantations express, etc. Une sorte de haute couture du verbe et de la scène, non dans ce que ca implique de la notion de luxe mais plutôt de savoir-faire. C’est également la raison pour laquelle nos textes ne sont pas forcément voués à publication, puisque leur valeur ne prend sens à nos yeux que pour la scène et avec les artistes pour lesquels nous les avons conçus.
Ce n’est pas la première fois que nous retrouvons des figures de l’histoire dans vos performances : Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi tenaient les rôles principaux du Prix Kadhafi, et vous repreniez des citations d’hommes politiques dans Dormir sommeil profond, l’aube d’une Odyssée. C’est intéressant lorsqu’on sait que vous, Marlène, vous avez suivi des études d’anthropologies, et vous Jonathan, vous avez fait des études d’histoire de l’art. Voyez-vous le théâtre comme une possibilité de monstration de notre société ?
Nos sujets de recherche sont la plupart du temps politiques et historiques, peut-etre parce que les études d’anthropologie de Marlène lui ont transmis une méthode et un goût pour la compréhension de ce qui se joue chez nos contemporains, peut-etre parce que les études de lettres et d’histoire de l’art ont transmis à Jonathan un goût pour l’archive, la compilation et la comparaison de documents textuels. Ceci dit, nous pensons que tous les spectacles, des plus pointus aux plus divertissants, du Festival d’Automne au Théatre des 2 Ânes, de la Fondation Cartier à la Michodière, racontent quelque chose de notre société. Comme toutes les productions dites culturelles, d’ailleurs. De toute facon, et pour aller plus loin encore, comme le dit Xavier Boussiron, « il y a autant de culture dans une quiche lorraine que dans un bon Rauschenberg ».
C’est presque impossible de qualifer vos performances : théâtre, danse, comédie musicale, pièce de boulevard, happening… Fuyons sous la spirale de l’escalier profond ne déroge pas à la règle puisque nous traversons de nombreux genres tout le long du spectacle.
De notre point de vue, Fuyons est une comédie-ballet romantique, pour laquelle nous avons essayé de respecter la structure traditionnelle du genre. En fait nous prenons comme point d’appui une forme, que nous tordons un peu aux entournures, mais nous essayons d’être stricts dans la citation de cette forme. Cela dit nous essayons aussi de faire en sorte que ça ne se voit pas : ça nous donne une structure mais c’est notre cuisine, il faut juste que ça serve notre propos, c’est ça le plus important. Nous n’avons vraiment pas l’impression de faire du théatre, ou de la danse, ou de la performance : nous concevons des spectacles, et le polystylisme, courant musical issu du post-modernisme et que nous reprenons à notre compte dans sa version textuelle, nous semble naturel.
Toutes vos créations mettent en jeux des personnages grimés : les interprètes portent des masques, des costumes bariolés ou disparaissent sous de nombreuses couches de maquillage.
Nous aimons travailler sur des formes esthétiques très précises (le ballet, le théatre de boulevard, le théatre documentaire…) et il nous arrive donc souvent de devoir faire appel à des savoirs-faire spécifques, tels que le body-painting ou la fabrication de prothèses en silicone. L’artisanat du spectacle nous intéresse beaucoup, ainsi que le travail en équipe. Nous travaillons très souvent avec des collaborateurs, des artistes récurrents dans nos spectacles, Alexandre Maillard à la musique, Guillaume Olmeta au son, Fabrice Ollivier à la lumière, Pascale Kouba, Roch Bambou et Sébastien Poirier au maquillages et aux masques, Angèle Micaux aux costumes…
Peut-on revenir sur le titre de la pièce ? Fuyons sous la spirale de l’escalier profond. D’ou vient-il ?
Le titre est emprunté à Victor Hugo, dans Les Djinns : « Dieu ! la voix sépulcrale , Des Djinns !… Quel bruit ils font ! Fuyons sous la spirale . De l’escalier profond. Déjà s’éteint ma lampe, Et l’ombre de la rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu’au plafond. » L’orientalisme et le romantisme de ce poème nous semblaient parler du spectacle, de ses personnages, leurs vies, leurs passions, leurs œuvres. Il y a aussi quelque chose de l’ordre du fantastique ( les esprits, les génies, les fantômes ) que l’on retrouve dans notre pièce, puisque nous avons notre Djinn à nous : le petit Giscard, un enfant noir au discours sibyllin et prophétique.
Fuyons sous la spirale de l’escalier profond, épisode de la vie d’un artiste. Avec Marlène Saldana, Jonathan Drillet, Angèle Micaux, Guillaume Marie, Rosalie Mahring, Héloïse Proux Hermand, Jean-Philippe Valour. Photo de Michael Hart.
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