Propos recueillis par François Maurisse
Publié le 7 août 2017
Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figures établis ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici la danseuse et chorégraphe Pauline Simon (1987).
Née à Lyon, Pauline Simon a fait ses classes au Conservatoire Supérieur National de Musique et de Danse à Paris. Sa première pièce Exploit remporte en 2012 le premier prix et le prix du public de la première édition du concours Danse Elargie. Depuis, chacune de ses créations témoigne d’une approche sensible du mouvement, que ce soit son duo Perlarborer (2013) avec Vincent Dissez dans le cadre des Sujets à Vif au Festival d’Avignon, sa performance Serendipité (2013) qui utilise le potentiel poétique des suggestions de recherche Google, ou encore Postérieurs (le futur n’existe pas mais des futurs insistent) (2016). Sa prochaine pièce Sérendipité, Face B, sera créée en 2018 au CDC Grenoble.
Quel est votre premier souvenir de danse ?
Dans mon premier souvenir de danse, j’observe la danse depuis ma taille où je ne vois que les ventres et les pieds des adultes tournoyer autour de moi. J’accompagne, enfant, ma mère dans les bals de campagne qui lui remémorent d’heureux souvenirs de sa jeunesse dans une petite bourgade de la Loire. La danse par deux m’invite à une sorte de compulsion sociale, et grâce aux privilèges de l’enfance je me permets d’inviter tout un tas d’inconnus à danser, les vieux, les jeunes, les hommes, les femmes, pourvu que l’on puisse danser et que je puisse aussi apprendre. J’évite seulement les enfants de mon âge, parce que je ne veux pas être regardée comme petit couple dansant, mais comme apprentie danseuse. Et puis je cherche plutôt des maîtres à danser. Il faut gérer le collectif, le sens du cercle, le tout dans un espace bondé. L’entrechoc est ici plutôt une forme de fluidité sociale. Il parait que quand je m’arrête de danser je peux m’endormir, car ma tension chute, mais que tant que je danse je pourrais fatiguer tout le monde jusqu’au petit matin.
Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marquée en tant que spectatrice ?
Voir ma soeur enfant en concert (ma soeur est pianiste) m’a, je pense, marqué comme spectatrice, puisque j’avais une sorte de connaissance profonde du travail de préparation, de son engagement total et quotidien, et parce que j’étais la seule à être autorisée à prendre part au rituel de préparation avant ses concerts ou ses examens. Réchauffer ses mains, transmettre la confiance, l’énergie, se taire, trouver le bon rituel pour elle. Les personnes que vous pouvez côtoyer pacifiquement avant qu’elles montent sur scène sont rares. Cela a peut être bouleversé d’entrée de jeu ma façon « d’aimer » ce qui ce passe sur une scène, et ma présence dans « l’assistance ».
Je suis sûre que je vais oublier des choses importantes, mais ceux qui me restent sont souvent ceux auxquels je ne pouvais pas être préparée, et j’espère que je pourrai encore vivre des pièces ainsi. Ce sont aussi des pièces après lesquelles j’ai ressenti le besoin d’écrire, soit aux artistes eux-même, soit juste pour moi-même en conversant avec l’oeuvre. So schnell (1992) de Dominique Bagouet, Adecedarium Bestiarium (2013) d’Antonia Baehr, Wagons Libres (2012) de Sandra Iche, Mercurial George (2016) de Dana Michel, Sans (2000) de Martine Pisani, By Heart (2014) de Tiago Rodrigues, Ça quand-même (2004) de Maguy Marin et Denis Mariotte, trio A (1966) d’Yvonne Rainer, Cheval (2010) d’Antoine Defoort et Julien Fournet, Paratactical (2017) de Noha Ramadan, Self unfinished (1998) de Xavier Leroy, Love (2003) de Loïc Touze et Latifa Laabissi, et la pièce la plus expérimentale de Noé Soulier, Idéographie (2011). En général, je dirais que je suis sensible à des formes qui combinent radicalité et générosité, et pour lesquelles donc, je ne suis jamais prête.
Celui dont j’aurais envie de parler davantage est Mercurial George, de Dana Michel vu à Montréal au festival Transamériques en 2016. Expliquer n’est pas si simple puisque je ne trouvais pas une grille de lecture habituelle. Son travail m’a sans doute touché déjà car il m’a ramené au fait que je voyais trop peu de femmes racisées sur scène, mais aussi parce que Dana Michel a réussi à faire voler en éclats les représentations habituelles de la femme noire avec une poésie, une élégance, et une folie rare. Son travail m’est parvenu par trop d’endroits en même temps, sur le plan symbolique, politique, chorégraphique, visuel, sonore. Il a provoqué en moi une sorte de honte de mon regard de blanche, de l’effroi, et à d’autres moments de l’exhalation. Je n’avais jamais eu honte au théâtre. J’ai transpiré et géré mes pleurs pendant une heure.
Quels sont vos souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?
Danser sur scène avec de la fièvre, c’est assez sensationnel : quand mon corps est malade, il s’organise à l’essentiel, c’est paradoxalement un expérience assez agréable où certaines facultés sont augmentées, où la sensation de jugement disparaît. Je suis ramenée au degré premier de la relation avec mon corps: l’écouter s’animer. La répétition générale de la pièce Exploit dans le hall du 104 : ce hall était le seul espace public parisien dans lequel je pouvais trouver 10 mètres sur 14 disponibles. C’était aussi la première fois que je présentais une forme en tant qu’interprète et chorégraphe dans un espace public. Le lendemain le travail était présenté au Théâtre de la Ville, et primé.
La jouissance d’être interprète-musicienne sur scène est aussi grande pour moi ; j’ai joué de la batterie dans la pièce de Mickaël Phelippeau, Set Up, chanté parfois dans mes pièces… Récemment, j’ai proposé une forme très musicale au Silencio avec un musicien, Ernest Bergez. Pour plusieurs raisons je crois que cela a été important pour moi car nous avons pu assumer une forme de liberté assez nouvelle dans mon travail grâce à la musique, tout en mettant en jeu une part intime de mon enfance. J’ai eu cette pensée étrange… je me suis dit que je n’avais pas encore pu réaliser les pièces que je souhaitais faire enfant et que je devrais, dans le futur, beaucoup plus les prendre en compte, réaliser les pièces de l’artiste enfant Pauline.
Quelle rencontre artistique a été la plus importante dans votre parcours ?
Je commencerais par dire que toutes les personnes qui ont manifesté ouvertement leur confiance en moi en tant qu’artiste ou interprète sont importantes. (Ils/elles se reconnaissent tout de suite je pense) Ils/elles m’ont permis des audaces, et des envols. Je dialogue plutôt pas mal avec des pièces, sans forcément dialoguer avec leur auteurs je dois dire…. et j’ai aussi déjà tenter de rédiger des conversations entre une pièce et moi-même, comme je le disais en parlant des pièces marquantes. Quand à ceux que j’ai pu rencontrer, je citerais le travail d’expérimentation mené par Loïc Touzé et Mathieu Bouvier, qui est une présence importante pour moi depuis trois ou quatre ans, sur la question de la représentation dans ma vie d’interprète. C’est une démarche lumineuse, à la portée humaniste (« on est là pour cultiver nos dons ») ouverte, et rigoureuse. Je n’ai pas pu travailler de la même manière ensuite.
Quelles oeuvres théâtrales ou chorégraphiques composent votre panthéon personnel ?
Le panthéon est une architecture qui parait un peu morbide pour y placer des oeuvres, non ? C’est un cimetière le panthéon ! Je choisirai plutôt un espace déterritorialisé, où on peut rentrer pour se rencontrer et sortir pour continuer son oeuvre. Puis je proposerais plutôt de remplir d’oeuvres importantes pour moi… un bateau ? Je prends ça pour un oui. Sur ce bateau, j’embarquerais déjà certaines des pièces chorégraphiques ou théâtrales marquantes citées auparavant, auxquelles je rajouterais ce joyeux mélange de morts-vivants ; Beuys, et ses matériaux « conducteurs » une rétrospective de Joan Jonas, toute la finesse de Francis Alys, Kontakthof (1978) de Pina Bausch, les publications activistes de Fannie Sosa et Story telling for earthly survival (2016) de Donna Haraway, les pièces de cabarets de Valeska Gert, Solo (1995) de Forsythe. Mais le mois prochain, je change la sélection. Je n’inviterais pas trop de monde d’un coup pour ne pas faire couler ce bateau sous le poids de l’Histoire.
Quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?
Elle doit rassembler ceux qui ne se ressemblent pas, pour reprendre la formule d’Hortense Archambault, révolter les consciences, continuer à lutter pour la place de tous les corps dans la société. Elle doit aussi repenser son passé, en faisant danser ses ancêtres : ne jamais se croire fille de rien. Elle doit inventer ses systèmes de production dans un monde qui a changé.
À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?
J’ai l’impression qu’il doit déjà se dégager des rôles imposés et faire la part des choses : on demande aux artistes d’être de bons communicants, de bons mécènes, de bons organisateurs. Être en marge de ce qu’il faudrait être, et inventer une façon de faire ce métier est un bon début. Pour moi, une des particularités de la place des artistes réside dans le fait de révéler au sens mystique, sociologique, des phénomènes partagés, tout en questionnant comment et pour qui on créé. Nous rendre plus sensibles, plus engagés donc moins peureux, de meilleurs amateurs, de meilleurs amants, de nouveaux apothicaires … de court-circuiter la vision du monde telle qu’on l’apprend, de nous renvoyer en nous-même.
Photo © Rebekka Deubner
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