Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 10 janvier 2022
Quels processus sont à l’origine de la danse ? Comment se construit une chorégraphie ? Avec My (petit) Pogo, Fabrice Ramalingom décortique et expose ses méthodes de travail pour donner à voir la fabrication d’une danse, sa trame et ses coutures. Abordant en filigrane les notions d’apprentissage, d’invention et d’émancipation par le savoir, le chorégraphe imagine une pièce jeune public avec pour thématique le positionnement face au groupe et la difficulté d’être ensemble en société. Dans cet entretien, Fabrice Ramalingom aborde les enjeux de sa démarche artistique et revient sur le processus de création de My (petit) Pogo.
My (petit) Pogo créé en 2017 découle d’une précédente pièce créée cinq ans plus tôt, My Pogo, avec une équipe de six interprètes. Pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette première pièce ?
Avec My Pogo, j’ai effectué une forme de tournant dans mon travail. J’ai eu envie de revenir à l’écriture du mouvement que j’avais abandonné pour inclure des éléments que j’avais pu acquérir dans mes expériences théâtrales et performatives. Avec My Pogo, je souhaitais retrouver du mouvement certes précis, mais surtout un mouvement haché, presque cubique avec des accents forts, quittant ainsi le flux continu hérité de Trisha Brown (rappelons qu’en 1992, Fabrice Ramalingom danse dans la pièce One story as in falling créée par la chorégraphe américaine, ndlr.). En termes de processus d’écriture, je suis parti d’une série de gestes quotidiens produits lors d’une improvisation dans la cuisine d’une des résidences de création pour avoir des mouvements anguleux, courts. Puis en termes d’espace, j’ai compressé la surface de jeu des danseurs, de telle sorte qu’en faisant leurs mouvements, ils se gênent, se heurtent, s’évitent, se frottent. En réduisant l’espace de jeu, je cherchais surtout à compresser les mouvements pour trouver la sauvagerie des mosh pit des concerts punk-rock. Ce contact rugueux s’éloignait de la technique de la Danse Contact Improvisation dont j’utilisais auparavant les principes comme l’écoute de l’autre, la négociation des poids, le respect du rythme de chacun, la recherche de l’élan commun. Un état d’être plus doux, en quelque sorte.
Comment se formalise cette « danse compressée » ?
Avec cette pièce je me suis rapproché d’une danse plus sauvage, brutale que m’évoquait le Pogo que je pratiquais dans mon jeune âge. J’ai conceptualisé des espaces (un ascenseur, une pièce d’appartement, une boîte de nuit, une salle pleine d’un concert Punk-Rock, etc) avec pour chaque séquence des consignes d’exploration à investir. Je voulais que les danseur.euse.s soient comme aimanté.e.s les un.e.s aux autres et aient du mal à trouver leur propre espace à l’intérieur du groupe. Que ça négocie et invente pour trouver des espaces où danser, que ça se résigne à accepter l’espace réduit tout en se méfiant de coups potentiels. Qu’on se sente pourtant obligé de rester dans cet espace, d’être en relation ou en contact constant avec les autres, créant progressivement un mode accelerando de réactions en chaîne… C’est avec la chorégraphie de My Pogo que j’ai aussi commencé à réussir à représenter la difficulté d’être ensemble en société. D’où une esthétique plus urbaine, plus proche d’une représentation du réel, avec des réactions presque théâtralisées. Avec My Pogo, je voulais dire que le « être ensemble » pouvait être non choisi et pouvait être une difficulté comme lorsqu’on est dans les transports en commun, dans le flux ou des marées humaines des megapolis.
Cinq ans plus tard, vous reprenez ces « thèmes » pour créer My (petit) Pogo, une pièce à destination du jeune public. Pourquoi reprendre spécifiquement les matériaux de cette précédente pièce ?
Je sentais à cette époque que j’avais fait un grand pas dans mon écriture chorégraphique avec cette pièce et j’étais frustré de peu tourner avec. Ce processus de création m’a fait grandir en tant que chorégraphe et je souhaitais que cet élan perdure. De plus, j’avais réussi à réinvestir et transformé mon héritage chorégraphique pour développer une autre forme d’écriture : mon écriture. Durant le processus de My Pogo, j’ai réussi à transmettre aux danseur.euse.s ces éléments transformés de cet héritage dont nous nous sommes servi pour construire la pièce. Ces outils sont assez simples à comprendre, à utiliser et tout le monde peut jouer avec (professionnel.le.s comme amateurs, enfants comme adultes). C’est ainsi que j’ai imaginé des ateliers adressés aux enfants et aux professeurs autour des représentations. Les exercices de travail que nous mettions en jeu pendant le processus de My Pogo abordait en filigrane les notions d’apprentissage, d’assimilation et d’invention, voire d’émancipation par le savoir. En intervenant auprès de scolaires, je me suis rendu compte que ces thématiques étaient naturellement en jeu lors des ateliers que je menais. C’était pour moi naturel de reprendre ces matériaux et de les développer.
Que reste-t-il de My Pogo dans My (petit) Pogo ?
Pas grand chose, en fait. De My Pogo, il ne reste que le processus de construction chorégraphique et la dernière partie de la pièce : la danse punk rock sur la musique de Pierre-Yves Macé. Nous avons gardé le système d’écriture : mouvements quotidiens tirés d’une improvisation dans une cuisine, modifiés par des principes (amplitude, direction, qualités, etc.) et assemblés avec la consigne de se déplacer en groupe et ensemble. Mais je souhaitais que ce soit plus léger et surtout plus lisible.
My (petit) Pogo est votre première pièce à destination du jeune public. Pourquoi vous confronter à ce type de projet à ce moment-là de votre parcours ?
Ma volonté de rendre l’art chorégraphique plus accessible m’a sûrement conduit à cette démarche. Pendant longtemps, on m’a proposé de réaliser une pièce pour jeune public mais je n’avais pas le moteur pour répondre. Puis j’ai commencé à considérer ce type de projet avec le plaisir de la transmission. Partager avec les danseur.euse.s d’abord, puis avec des amateur.e.s et ensuite avec toutes sortes de publics. Et puis un jour, je me suis rendu compte que mon public vieillissait, comme moi, je ne voyais plus beaucoup de jeunes dans les gradins. Alors voilà le moteur : rendre accessible cette discipline et m’adresser au public de demain. Peut-être parce qu’en venant d’un milieu populaire où j’ai senti que l’art ne m’était ni accessible, ni destiné, j’ai eu envie, en tant qu’artiste, d’ouvrir une porte, un possible, vers les plus jeunes.
Comment s’est engagé le processus de création ?
Avant de commencer le travail de création, je me suis longtemps posé la question de la forme. Ce que je voyais des formats de pièces chorégraphiques à destination jeune public à ce moment-là ne m’intéressaient pas. Que pouvais-je apporter de différent ? Comment partager avec eux ma passion pour la danse ? Je me suis alors souvenu des « lectures démonstration » que je dansais lorsque j’étais interprète pour Dominique Bagouet (Fabrice Ramalingom a dansé pendant 6 ans pour Dominique Bagouet, participant aux 6 dernières créations du chorégraphe, ndlr) durant lesquelles nous dansions devant un public intéressé et curieux des extraits de pièces de différentes époques, entrecoupés d’explications de Dominique. J’adorais ça, c’était un autre rapport au public et c’était une parfaite entrée dans le laboratoire de l’artiste. Je crois que j’avais envie de proposer ce type d’expérience : donner accès à un laboratoire de travail, faire voir la fabrique d’une danse avant d’assister à la chorégraphie finale. Dans My (petit) Pogo, les interprètes jouent presque des rôles de conférencier.e.s en exposant et nommant les différents outils et processus par lesquels une équipe passe pour construire une chorégraphie. En décortiquant et exposant nos méthodes de travail, on aide à comprendre comment on peut construire une danse et je suis convaincu que ça aide à apprécier l’art chorégraphique.
My (petit) Pogo est aujourd’hui présenté en version langue des signes. Pourquoi ? Comment avez-vous adapté la dramaturgie de la pièce avec cette nouvelle donnée ?
L’idée m’a été proposée en 2019 par la Maison de la Danse de Lyon lorsque nous y avons présenté la pièce. La Maison de la Danse entretient un partenariat avec l’association Accès Culture pour présenter deux ou trois spectacles dans l’année en LSF. L’équipe de la Maison de la Danse m’a proposé d’adapter notre pièce car il y a un texte important qui est dit par les danseur.se.s et le thème de la pièce « danser malgré/avec nos différences », s’y prêtait. Je me suis tout de suite très bien entendu avec Anne Lambolez, l’interprète LSF, que j’ai intégrée à la chorégraphie et au groupe au plateau (sauf dans le moment de danse). Depuis peu, j’ai aussi demandé aux interprètes de commencer à signer de petits moments, comme la présentation de leur nom.
My (petit) Pogo, chorégraphie et conception Fabrice Ramalingom. 4 interprètes en alternance : Clémence Galliard, Clément Garcia, Yuta Ishikawa, Gaïa Merigot, Emilio Urbina, Lorenzo Vanini, Lise Vermot. Interprète LSF : Anne Lambolez. Lumières Maryse Gautier. Musique Pierre-Yves Macé. Costumes Thierry Grapotte. Régie Bastien Pétillard ou Thibaut Le Garrec. Photo © Pierre Ricci.
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