Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 25 février 2016
Interprètes et chorégraphes, Madeleine Fournier et Jonas Chéreau se sont rencontrés en 2005 au CNDC d’Angers. Alter egos artistiques, ils co-signent ensemble une série de pièces dont Les interprètes ne sont pas à la hauteur (2011), Sexe symbole (pour approfondir le sens du terme) (2013) et SOUS-TITRE (2015). En écho à sa présentation au festival Artdanthé au Théâtre de Vanves, ils ont accepté de revenir sur cette dernière création et répondent à nos questions.
Chacun interprète pour d’autres chorégraphes, vous collaborez ensemble depuis maintenant quelques années. Qu’est-ce qui vous motive à travailler l’un avec l’autre ?
Jonas Chéreau – Effectivement, nous travaillons ensemble depuis quelques années ! Nous nous sommes rencontrés dans le cadre de la première formation d’interprètes élaborée par Emmanuelle Huynh au CNDC d’Angers. Nos parcours étaient très différents, Madeleine venait d’une formation au Conservatoire National Régional de Paris et moi, j’avais une pratique autodidacte de la danse. Nous nous sommes rapprochés assez rapidement. Nous passions beaucoup de temps à parler et la question qui revenait souvent entre nous était : « mais pour toi, c’est quoi la danse ? « . En sortant de l’école, nous avons travaillé séparément avec différents chorégraphes. Nous avons d’ailleurs commencé notre parcours d’interprètes auprès de deux figures de la danse, Madeleine aux côtés d’Odile Duboc et moi aux côtés de Daniel Larrieu. Nous échangions souvent de ces expériences d’interprètes riches. Il y avait avec Daniel et Odile une sorte de lien de parenté. D’ailleurs, je me souviens qu’une fois quelqu’un a demandé à Madeleine après un spectacle si elle était la fille d’Odile. Cela nous avait fait rire ! Aussi, l’une des choses qui nous rapproche, c’est le désir d’interpréter les pièces d’autres auteurs. En effet, nous aimons incarner les pensées et intuitions d’artistes que nous aimons. Mais parallèlement, nous avons le besoin d’avoir notre chambre d’expérimentation, notre espace de réflexion, de remise en question de l’art chorégraphique. Nous sommes nourris des aventures partagées avec d’autres et avons aussi le désir de créer à notre façon des objets qui nous ressemblent. Notre pratique d’interprète alimente notre pratique de chorégraphe et inversement. Nous sommes des amis, je dirais qu’il y a quelque chose de fraternel entre nous. Ce qui nous motive à travailler l’un avec l’autre c’est probablement ce lien. On partage le goût de la conversation et une attraction pour le mouvement, et aussi on se marre bien ensemble !
Comment travaillez-vous ensemble ? Comment abordez-vous chaque nouvelle création ?
Madeleine Fournier – Nous discutons beaucoup, nous sommes amis donc nous parlons vraiment de tout. Nous aimons l’intimité au travail, et nous avons besoin de prendre en compte tout les aspects de notre vie lorsque nous démarrons un projet. Nous commençons souvent par un grand debrief de plusieurs jours où on aborde tous les sujets importants pour nous sans hiérarchie cela va de nos réflexions sur l’art à nos vies intimes. Il faut que le projet à venir, les questions, les intuitions de départ soient en lien avec les moments de vie que nous traversons. C’est le luxe de notre travail, de pouvoir ne pas séparer la vie de la création, essayer de faire du sens entre ces multiples activités que nous avons. La création peut ressembler à une thérapie, en tous cas elle est un médium pour exprimer des choses de l’intime vers le collectif. En pariant sur le fait que nos préoccupations soient les préoccupations des spectateurs !
Le point de départ de votre première création Les interprètes ne sont pas à la hauteur était les Danses macabres, votre seconde pièce Sexe symbole (pour approfondir le sens du terme) explorait quant à elle les notions de division et de binarité. Comment s’articulent ces deux premières pièces avec votre dernière création SOUS-TITRE ?
Jonas Chéreau – Dans Les interprètes ne sont pas à la hauteur, nous avons cherché à inventer une danse macabre à la manière de faux chercheurs sur le Moyen-Age. Nos sources étaient picturales mais provenaient principalement d’une liste de verbes définissant ces danses du passé : Bâler, Trépiner, Saultelauter, Claudiquer… C’est à partir de ces mots et de leurs interprétations que la pièce est née. Dans Sexe symbole (pour approfondir le sens du terme), nous nous sommes intéressés à la notion de binarité dans la construction du langage. Nous dialoguons autour de notions comme le lisse et le rêche, le chaud et le froid, le dur et le mou. Dans ces deux pièces, la danse et les actions scéniques sont nés de l’interprétation de mots ou d’idées.
Pour SOUS-TITRE, nous n’avons pas souhaité partir d’un sujet précis, les enjeux de la pièce sont apparus au fur et à mesure du processus et surtout, cette fois ci les mots sont venus du mouvement. Le lien entre les trois pièces c’est la recherche autour de la notion de l’origine. Avec SOUS-TITRE, c’est comme si nous avions fait un zoom sur les deux projets précédents en ayant pour objectif d’interroger l’origine mais cette fois si de manière infinitésimale et très littérale. Nous aimons établir des études sérieuses de manière assez burlesque. Dans le fond, je crois que notre goût pour l’absurde est le moteur de notre travail. Aussi, la relation entre les mots et la danse nous fascine dans la capacité qu’elle offre à inventer des mondes avec presque rien. D’ailleurs dans notre prochain projet, nous continuerons cette démarche autour des mots mais cette fois-ci en donnant la parole à des spectateurs.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de cette nouvelle pièce ? Quels-ont été vos différents axes de recherches et de travail ?
Madeleine Fournier – Le point de départ était que nous ne voulions pas partir d’une thématique particulière comme nous l’avions fait auparavant. Nous avons commencé par écrire un texte à partir de divers échanges épistolaires, un texte assez absurde qui passait d’un sujet à un autre sans transition. L’immobilité aussi était un point de départ, nous ne voulions pas partir du principe que le mouvement serait une évidence. L’arrêt nous semblait important. Nous ne savions d’ailleurs par trop comment bouger on voulait parler et bouger mais ça ne marchait pas bien. Est venu ensuite l’idée d’une vraie/fausse pratique, le fait de pratiquer physiquement quelque chose permettait d’amener la voix de manière ni théâtrale ni naturaliste mais d’une manière bien spécifique à la danse, aux pratiques somatiques ou encore aux pratiques de bien-être de plus en plus présentes dans notre quotidien. L’arrivée d’Èlg a apporté un registre tout autre, plus fictionnel, et cela nous a amené à l’idée qu’il interprète les pensées du mouvement dansé. Nous aimons beaucoup ce rapport absurde entre abstraction du mouvement et fiction du récit.
La question de l’arrêt a fait émerger l’intérêt pour l’origine du mouvement. La question principale est devenue : Qu’est ce qui nous met en mouvement ? Et d’observer, d’interroger littéralement l’apparition du mouvement. Comment ce mouvement est il en train de prendre forme, par quelle opération ? De la même façon pour les interventions d’Èlg, nous lui avons donné pour consigne d’improvisation de dire à voix haute les pensées qui lui traversaient l’esprit en nous regardant danser, cela pouvait avoir affaire avec ce qu’on faisait réellement ou au contraire n’avoir aucun rapport. L’écriture fait qu’on ne peut saisir comment elles apparaissent, il n’y a pas de fil conducteur, par contre on est fasciné par leur apparition. SOUS-TITRE est une pièce plutôt minimaliste, nous avons voulu créer un espace, un cadre qui permet d’observer l’apparition des mouvements des corps et des pensées, en jouant avec cette opposition binaire corps/pensée.
Vous collaborez ici avec le musicien Èlg et le plasticien Boris Achour, comment ont-ils participé à l’écriture de la pièce ?
Jonas Chéreau – SOUS-TITRE est notre troisième pièce et nous avions le désir d’élargir le cercle et de partager le plateau avec un nouveau complice. Nous avions à la fois l’envie de nous confronter à la pratique d’un autre artiste, mais aussi de partager la notre. Nous avons rencontré Èlg et son univers « cosmico-comique ». Il est à plusieurs endroits de la musique expérimentale, du stand-up comédie en passant par des spirales concentriques et labyrinthes faits de thuyas et de boyaux à la musique répétitive. Nous nous sommes trouvé des obsessions communes, le mouvement, la recherche et le rire. Èlg a été très impliqué dans l’écriture de la pièce, à la fois dans la composition musicale, avec deux harmonicas (un majeur-un mineur) mais aussi dans l’écriture du texte qu’il dit dans la pièce. Une collaboration intense, je dois dire, une très belle rencontre.
Pour cette pièce, nous souhaitions qu’il y ait un élément tiers abstrait et brut au plateau. Pour faire advenir le mouvement, ou plutôt donner la sensation du potentiel de mouvement nous avons tout de suite pensé à un mobile. Madeleine qui avait collaboré auparavant avec Boris Achour m’a parlé de son travail, de ses mobiles (ndlr – Nous avons pu voir Madeleine dans l’installation Des jeux dont j’ignore les règles notamment présentée à la 56ème Biennale de Venise, ou encore dans une série de vidéos présentées dans le cadre de l’exposition Séances (2012) au Centre d’art contemporain d’Ivry-Le Crédac.). Nous en avons discuté avec lui et il s’est lancé dans le projet. Boris a assisté à plusieurs répétitions puis a conçu seul le mobile. Ce que nous aimons dans ce mobile, c’est le fait qu’il soit immobile, en équilibre, prêt à bouger, simplement soumis à son poids et à sa forme comme nos corps de danseurs. Très belle rencontre aussi, pleine de confiance.
Nous retrouvons plusieurs dénominateurs communs dans chacune de vos pièces, dont la parole. Que recherchez-vous dans l’oralité ? Quand apparait le texte ? Avant, pendant, ou après le mouvement ?
Madeleine Fournier – Les textes que nous disons sur le plateau viennent souvent d’improvisation. Dans Sexe symbole les dialogues sont venus de discussions que nous avions enregistrées où nous débattons de manière binaire sur des opposés (lisse/rêche, dur/mou, etc). Dans Les interprètes ne sont pas à la hauteur c’était les mots anciens qui nous inspirés pour inventer des danses. Les mots peuvent être soit moteurs en terme d’imaginaire pour le mouvement ou alors c’est l’expérience physique / sensorielle qui va générer de la parole. Dans SOUS-TITRE ou Sexe symbole (pour approfondir le sens du terme) c’est la traduction par les mots de l’expérience qui nous intéresse ou le fait de rendre performatif, partageable, ludique une expérience intime liée à ce qui se passe dans nos corps. Nos pièces contiennent toujours deux entrées : un aspect sérieux lié à une recherche chorégraphique et une manière absurde de la mettre en scène. Quelqu’un m’a dit l’autre jour (et je trouve que cela résumait bien notre démarche) que nous faisions des choses sérieuses avec légèreté et des choses drôles avec beaucoup de sérieux. Nous aimons ce rapport entre futilité et nécessité et il me semble que la parole permet de rendre accessible et donc moins mystérieux des questionnements, expériences pointues.
Vous collaborez avec des artistes tels que la cinéaste Tamara Seilman avec le film 306 Manon, ou encore avec le plasticien Boris Achour dans SOUS-TITRE. Quels rapports entretenez vous avec les arts plastiques et quels liens tissez-vous avec la danse ?
Jonas Chéreau – La danse est un art poreux, nous parlons beaucoup de cinéma, de musique, des arts visuels, de sociologie aussi. La danse se nourrit beaucoup d’autres champs. Nous travaillons avec des artistes de champs différents mais l’idée est toujours de le faire à notre façon, c’est à dire, à la manière de danseur, de danseuse, de chorégraphe. Partir du chorégraphique pour penser un film, l’exposition d’un objet ou la création d’une bande son… Toujours en s’intéressant à l’aspect performatif de ces éléments.
Photo © Marc Domage
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